Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
le service de Tilly pour rejoindre celui de Mansfeld, quand l’assassin échangea Gustave Adolphe pour Spinola. Puis ce dernier chemina avec les compagnies du boucher Wallenstein, avant de passer sous les ordres de Châtillon ; quant à Amadéor, à la mort du roi de Suède, son ami, de guerre lasse , il déserta les champs d’horreur pour de nouveaux voyages.
Ils citent les batailles auxquelles ils ont participé : Rain am Lech, Madebourg, etc. Ils évoquent leurs souvenirs quand passe un convoi qui nous fait tourner la tête : des femmes aux fenêtres chantent en chœur, près d’elles, des musiciens les accompagnent.
Ce convoi de chariots, c’est celui de la troupe de bohème qu’hébergea la protectrice Desdémone. Les comédiens sont restés à Paris, les nomades reprennent la route.
Fabien Delorme se place en travers de leur chemin, il veut leur parler.
Un émouvant départ
— Êtes-vous pressés ? demande l’assassin attitré.
— D’ordinaire, répond un des gitans, nous prenons le temps de vivre, aujourd’hui nous pleurons l’un des nôtres.
— Et vous le pleurez fort joliment, d’où ma demande, et mon offre, dit le mercenaire en sortant une bourse de sa poche. Cette bourse est à vous si vous acceptez de vous arrêter et de nous entourer avec vos vielles, vos tambours, vos roseaux et votre chorale endeuillée. Qu’elle garde la note. Situation idéale, compagnie de qualité, toutes les conditions sont réunies. Nous tâcherons de faire au plus vite et vous laisserons libres, alors, de reprendre votre route.
Le bohémien soupèse la bourse. Il se dit sans doute qu’il serait bien ingrat de refuser une telle somme, que l’or est toujours bon à prendre.
— Nous voulons bien vous suivre, accepter votre argent, mais en quoi pouvons-nous nous rendre utile ?
— Voilà, répond Fabien Delorme, en montrant don Juan de Tolède, avant de se désigner, lui, nous allons nous ouvrir la gorge, monsieur et moi. Or, étant tous deux d’anciens soldats de fortune, nous aimerions entendre la mélodie familière de quelques chansons martelées en cadence, un air qui nous rappellerait nos exploits de la veille, le visage de nos frères tombés avant nous. Diable, il est en effet fort probable que l’un de nous quitte aujourd’hui cette vallée de larmes. Nous nous faisons la guerre sans haine, par obligation. Cela, voyez-vous, nous autorise à disposer des choses à notre convenance, dans le désir d’offrir à l’autre un émouvant départ : des fleurs dans le paysage, le chant de la nature et la complainte du prince d’Orange.
Le prince d’Orange
C’est une clairière entourée d’arbre, en contrebas de la route. L’endroit est des plus paisibles.
Les chariots se regroupent sur le pré en demi-cercle. Je prends place au milieu des nomades, près d’un chariot de couleur bleue. Pendant que les duellistes quittent la selle de leurs chevaux, qu’ils se préparent, les musiciens accordent leurs instruments.Cette troupe forme un véritable ensemble. Les tambours dominent, ils donnent la mesure, mais derrière eux cent voix s’élèvent et s’entremêlent : celles des harpes, des lyres, des flûtes, des sifflets, des luths, des crotales, des carillons. Les roulottes sont dépeuplées, tout le monde est dehors, debout ou assis dans l’herbe.
Les musiciens entament les premières mesures.
Les adversaires se mettent en position, rentrent dans le champ.
Mais avant d’ouvrir la moindre attaque en marche, prudent, échaudé, don Juan de Tolède pose ses conditions :
— Échangeons nos lames, si cela ne vous fait rien.
— Je suis habitué à la mienne, je ne vous le cache pas, répond Fabien Delorme.
— Sans vous offenser, je crains le venin de sa langue fourchue.
— Comme il vous plaira. Mais c’est bien inutile, j’ai renoncé à ces méthodes douteuses, elles ne me faisaient pas honneur, je le confesse. Cela étant, pour continuer de vous rassurer, sachez qu’afin de ne pas céder aux tentations de la routine – elles nous guettent –, je n’utilise jamais deux fois de suite la même recette.
— Procédons tout de même à l’échange, insiste don Juan.
Fabien Delorme va proposer sa rapière à la main de son adversaire quand il le questionne :
— Mais au fait, monsieur, n’aviez-vous pas un compagnon ? Un troubadour qui eût pu se joindre à l’orchestre ?
— Fortunio ?… Vous êtes bien renseigné, mais je l’ai tué.
— Dans ce cas…
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