Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
duchesse, un mousquetaire du roi. Il se nomme d’Artagnan.
— Lui ! s’exclame l’abbé.
— Pour vous servir, dis-je en me découvrant.
— Un mousquetaire du roi commettre un pareil outrage ! Nous avons votre nom, la reine…
— Allons, l’abbé, dis-je en pointant sur son visage ce canon qui ne peut plus tirer mais qui peut encore impressionner, moins haut, moins fort. Je crains que vous ne soyez plus en position de réclamer quoi que ce soit. Avant de songer à me faire tomber en disgrâce, je vous conseille de prendre vos jambes à votre cou et de mettre entre la Bastille et vous le plus de distance possible ! Il reste mon cheval. Vous êtes trois, avec le cocher, dis-je en prenant sa place. Le partage va être difficile, aussi je vais trancher pour vous !
Je fais claquer mon fouet. La voiture s’en va et le cheval part de son côté. Adieu , dis-je en abandonnant là madame Marie de Rohan, duchesse de Chevreuse, et monsieur Jean-François Paul de Gondi, coadjuteur de Paris . Soyez heureux, c’est un beau temps pour marcher !
Un paradis sur terre
J’ai installé don Juan de Tolède à bord de la voiture. J’attache les chevaux au carrosse. Amadéor est des plus satisfait.
— D’Artagnan, vous voyez grand et cela me plaît. Il est temps que je me retire, je commence à déteindre sur vous. Je risquerais de faire un mercenaire du mousquetaire.
Le musicien monte à côté de moi. Don Juan m’a indiqué la direction à suivre.
Nous partons au grand galop. Nous avons couru le gros de la distance à la vitesse du vent. Je commande l’arrêt. J’ouvre la portière. Don Juan est faible, mais il vit. Le ménestrel va prendre la place de l’aventurier.
Maintenant, c’est à lui de saisir les rênes. Je lui laisse le soin de reconnaître la route. Nous arrivons enfin. La maison est là, en contrebas.
— Rien n’a changé, ou si peu… dit-il.
C’est une belle et noble demeure, telle que je l’imaginais. Les oiseaux chantent, la rivière coule non loin, c’est un paradis, un paradis sur terre, sans pompe ni démesure.
Je dois rester là, les attendre.
Don Juan lâche les rênes. Il reprend une gorgée de vin pour retrouver des forces.
Il retire son médaillon qu’il garde à la main. Il replace son feutre sur sa tête, puis il s’adresse à notre jeune voisin :
— À ton luth, ménestrel, joue ton plus bel air, car c’est aujourd’hui que je rejoins la seule femme que j’aie jamais aimée.
Ces chemins de terre…
Oui, Sire, cette demeure, c’est bien celle de Jeanne… Jeanne de Maisonneuve. Jeanne de Maisonneuve, la mère du page Hercule, du Cid Rodrigue, la fille du maître disparu, Henri de Maisonneuve, ce mousquetaire abattu.
Je ne vois la scène que de loin. Mais elle n’en est pas moins émouvante.
Accompagné de son musicien, l’aventurier frappe à la porte.
La porte s’ouvre. Une femme paraît sur le seuil, jeune encore, belle, toujours.
Ces mots prononcés, je peux les entendre.
— Je viens vous demander un peu d’eau, chère madame, j’ai si chaud, je peux vous payer avec ceci.
L’aventurier montre le médaillon.
La femme porte les mains à son visage.
Don Juan vient de tomber. Il s’appuie contre le mur.
Elle se met à ses genoux, caresse ses cheveux, le couvre de baisers.
— Joue, musicien, joue …, dit l’aventurier encore . Pourquoi pleures-tu ? On dirait que tu n’as jamais vu mourir un homme… moi, j’en ai vu tant et je ne pleure plus.
Pourtant, ces larmes, je sais qu’elles coulent sur ses yeux.
Don Juan parvient à se relever, à grand-peine.
— Jeanne, dit-il, Jeanne mon amour, regarde ce que je suis devenu. Vois ce carrosse, n’est-il pas magnifique ? Veux-tu venir avec moi ? Je t’emmène comme autrefois… sur ces chemins de terre qui menaient au ciel.
Dans le même lit que lui
Cette fois, je descends et je cours. Je vois maintenant parfaitement le visage de cette femme, un visage illuminé, éploré, nos regards se croisent sans un mot.
Je prends contre moi mon ami don Juan de Tolède et je le porte jusqu’au carrosse. Je l’y fais rentrer.
— Merci, d’Artagnan, me dit-il, je vous abandonne les rênes, vous êtes maître de l’itinéraire. Roulez donc jusqu’au coucher du soleil, j’irai dormir avec lui, dans la même ombre, dans le même lit.
Jeanne de Maisonneuve s’est serrée contre son amant. Cette image que j’ai devant les yeux, c’est une pietà. Le ménestrel
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