Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
montre guère son visage, ces renforts qui ne s’exposent qu’en cas de grand péril, c’est trop…
Il adresse quelques mots pesés à la passagère du carrosse. Le ton est grave.
— La foule n’a ni foi ni loi. C’est un groupe que mènent à tous les vents les passions humaines, comme une armée désœuvrée, prête à se vendre au plus offrant. En ramenant la lumière sur ce gouffre, Hercule, mon page, vous a montré le vrai visage de notre patrie, terre d’asile. Puisse l’acte héroïque de ce jeune homme vous faire oublier les excès de tous ces gens.
Ces derniers mots font office d’adieu et de révérence. Il faut en rester là. Derrière ces bonnes paroles, le chevalier ne semble pas voir d’un bon œil qu’une femme au charme si puissant (charme dont il doit se prémunir lui-même en marquant de la distance) s’approche trop près de son protégé.
Sans attendre la réponse à sa question, l’Italienne ordonne le départ de sa voiture. Elle salue le chevalier par courtoisie, le page pour ce qu’il est et pour ce qu’il a fait, puis elle m’offre également un signe de la main, par reconnaissance… Ainsi mon intervention ne lui a pas échappé.
D’ailleurs, le jeune homme vient vers moi et me remercie avec chaleur.
Je lui tends son pourpoint écarlate que j’ai ramassé à terre.
— Voici vos couleurs, jeune homme, lui dis-je.
— Merci, dit-il simplement en prenant sa veste. Monsieur, continue-t-il en me présentant à son maître, m’a porté secours, avant que je puisse rejoindre le carrosse. Sans son aide opportune, je ne serais arrivé là-haut que roué de coups.
— Les hommes de bonne volonté se reconnaissent dans l’adversité. Ferons-nous quelques pas ensemble ? me propose le cavalier.
— Mais volontiers, dis-je.
— Edmond de Villefranche, reprend-t-il en se présentant, et voici mon jeune page, Hercule, ce brillant avocat, vif comme la poudre, qui a bien du mal à rester derrière moi. Découvrir Paris lui donne des ailes.
Un dialogue s’installe entre le page et le maître. Chacun donne sa réplique et le page ouvre les hostilités :
— Si le corps est fait pour la marche, puisque l’existence humaine n’est qu’un pèlerinage sur terre, notre âme qui vient du ciel ne songe qu’à voler.
— Encore l’une de vos citations, dit le gentilhomme. Ce jeune exalté, poursuit-il pour moi, a le bras d’un soldat, mais l’érudition d’un savant.
— Au diable les savants ! Le vrai savoir se ressent. Ce mot n’est pas un hommage. Il est de moi, répond Hercule avec fierté.
— Il est vrai qu’il cherche l’aventure comme il rêve de faire entendre sa voix. Je dois pourtant brider des deux mains cet apprenti. Il se voit homme, il se sent prêt à bondir, mais moi je n’oublie pas la douceur de ses traits, ni son peu d’expérience. À jeune soldat, vieux cheval.
— Je suis jeune il est vrai, mais aux âmes bien nées…
— … La valeur n’attend point le nombre des années… J’ai également lu la pièce, sans songer à autre chose, je vous en informe, rétorque aussitôt le gentilhomme en saluant son page d’un hochement de tête.
Rendez-vous à cinq heures au bas de la scène, plutôt qu’au bord des gradins
À cet instant, un détachement de la troupe des comédiens de monsieur Bellerose vient à notre rencontre. Le jeune homme, fier comme un coq, lève la crête. Il sent qu’on vient lui tendre les lauriers. Ceux-ci sont sur les lèvres d’une actrice, jeune et jolie, qui les lui envoie d’un baiser de la main. Elle bondit, légère, sautille, au rythme d’un pas de danse. Elle siffle. Elle lève le bras. Un bras nu, dont le poignet est couvert de bracelets. Le signal fait venir à elle des joueurs de fifre, des batteurs de tambourin :l’orchestre itinérant chargé d’accompagner la tournée des amuseurs et des tragédiens.
— À vos instruments, messieurs, jouez un air de triomphe pour ce beau parleur.
L’expression est peut-être moqueuse, mais le ton n’est pas narquois, il est juste taquin. La gaieté provocante, la beauté impudique de cette comédienne qui tourne autour du page en faisant voler ses jupes, ne laisse personne insensible.
Celle-ci reprend :
— La scène que tu as jouée là-haut, sur le plafond de ce carrosse, mérite une ovation, et crois-moi, on s’y connaît. Tu as de la présence …
— Point trop d’honneurs, mademoiselle, répond avec un sourire le fier gentilhomme qui peine à garder son
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