Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
reste, compense ces faiblesses, si cruellement jugées à la Ville par nos arbitres des élégances, par la raideur de son maintien et la souplesse de sa conduite, celle d’un excellent cavalier. Sa royale est taillée avec soin, la couleur de ses cheveux roux s’accorde parfaitement avec la teinte bleu sombre de son habit. Personne, en le voyant si digne, n’oserait douter de ses origines.
— Justement, répond le page, vous m’avez dit vous-même que moins on est riche, et plus on doit être dédaigneux de toutes les spéculations, de toutes les tentations.
— Le beau geste de cette femme n’avait rien d’offensant. Il récompensait votre action. Ne soyez pas trop fier. Soit, nous irons au théâtre de l’hôtel de Bourgogne, mais je crains qu’il faille vous contenter d’une place au parterre. Ce soir, vous ne monterez pas plus haut.
— Le parterre… au milieu des coupe-jarrets, du menu peuple…
— Auriez-vous soudain des prétentions ? Souriez, placé ainsi, vous serez plus près de cette belle comédienne qui vous a tapé dans l’œil.
— Vous êtes le maître, décidez, je suivrai.
— À la bonne heure.
Nous arrivons à l’auberge Le Soleil d’or.
Ces messieurs semblent contents du choix que j’ai fait pour eux. Nous nous donnons rendez-vous à l’hôtel de Bourgogne. De mon côté, je dois filer vers la taverne de la Tour d’Auvergne où m’attendent d’autres surprises. Avant de partir, je salue ces hommes :
— Je prendrai également place dans la fosse, sans a priori aucun. Cependant, avouons-le, les réticences de ce jeune homme ne sont pas dénuées de fondement, je connais bien les lieux. Aussi je vous conseille de cacher votre bourse et de garder une petite lame à la ceinture. Si les grands sont à l’abri au paradis, notre purgatoire n’est pas encore lavé de toute corruption. À plus tard, messieurs.
Chapitre six
Au cabaret de la Tour d’Auvergne ,
la bonne fortune ne sait pas sur quel pied aller
Fabien Delorme ou l’oiseau de mauvaise augure
« Cette journée, placée sous la coupe du destin, doit être celle des présentations. La scène est dressée : l’action se jouera entre Paris et ses environs, derrière ces enceintes gardées, dans ses rues étroites et ses palais de pierre et de briques, palais où l’on pénétrera, Sire, par la porte de devant, avec les honneurs, ou par les galeries souterraines et secrètes, un flambeau à la main, en parfait incognito. Cependant, nous ne pourrons toujours demeurer cloisonnés entre des remparts et des murs, grâce à Dieu, nous aurons besoin, parfois, pour les nécessités de nos enquêtes, de prendre un cheval et de gagner les bois, de passer chez l’ennemi, dans ce camp étendu et nomade que tient Lanteaume avec ses hommes, imprenables brigands…
Quoi qu’il en soit, comme je le disais, cette première journée distribue les rôles – nous verrons que plus d’un, en cette affaire jouera double emploi –, c’est une exposition des caractères. Les enjeux, pour l’heure, évidents – sauver le cardinal et la reine, obtenir des preuves incriminant les comploteurs –, ne tarderont pas à s’intensifier, à se diversifier. Ce sera intrigue sur intrigue, piège sur piège. Nous marchons le long d’un couloir, mais au premier virage, nous verrons s’étendre devant nous les dédales d’un labyrinthe.
Pour l’heure, les protagonistes vont par deux. Nous avons d’abord ce seigneur en carrosse et son épouse, ensuite ce don Juanet son assistant troubadour, viennent encore ce gentilhomme Edmond de Villefranche et son page Hercule… cette Italienne Desdémone suivie de son ombre, le conseiller occulte, César Ravier, dit Altus… ; j’aurai, moi, pour complice Bastoche, que nous allons incessamment retrouver et mettre à contribution. Quelques figures isolées entreront bientôt dans la partie, l’une d’elles, la première, va m’être jetée dans les jambes, mais voici.
Je marche à vive allure. Les paroles des uns et des autres, toutes ces rencontres étonnantes me donnent matière à songer. Desdémone viendra plus tard, au théâtre, j’ai choisi de la laisser libre avant de la retrouver là-bas. Cette piste n’est pas perdue. Mais une petite voix me conseille de ne pas négliger ces nouveaux intervenants, je les vois prendre place sur l’échiquier, les uns blancs, les autres noirs, simples pions, fous ou cavaliers.
Je vais d’ailleurs faire connaissance avec cette jeune
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