Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
éruption.
À l’instant où tout doit rentrer dans l’ordre, où chacun va pouvoir se remettre en chemin, la rue prend feu. Cette femme à qui le sang monte à la tête, c’est une mèche allumée sur un lit de paille. Ses jurements et sa grosse voix entraînent les plus timides et les moins concernés. Le malheur veut qu’on entende au-dehors quelques mots d’italien, échangés dans ce carrosse qui ne peut désormais plus, après avoir fermé le passage, avancer d’un pouce sans renverser et piétiner une ligne entière de piétons où les curieux se mêlent aux mécontents. On fait barrage. L’italien ! Langue maudite en terre française ! Cette femme, roulant sur l’or , va servir de bouc émissaire. Elle va payer pour les autres… Les Médicis, les Concini, les Mazarin… Ces buveurs de sang, ces aventuriers avides et cupides… on crie à la révolte, avant d’appeler au massacre. Toutes les fenêtres se sont ouvertes, les bras se tendent, on brandit des bâtons et des couteaux. Pour justifier sa haine, on charge ces intrus de fautes et de crimes, sans savoir que ces folles accusations, nées dans l’ivresse collective, puissent être légitimes. Les comédiens de l’hôtel de Bourgogne assistent désemparés, avec moi et une poignée de pacifistes, à ce retournement spectaculaire. Cette foule, si enjouée l’instant d’avant, change de face. Menée à l’abîme par un flot d’injures, elle s’apprête à sortir les griffes, à s’arracher la dépouille d’un carrosse. Que faire ? Comment rabattre cette violence qui ne cesse d’enfler, d’envahir les esprits ?
Des cavaliers surgissent… Chapeaux emplumés, longues capes, flamberges aux côtés… Des mercenaires aux Lombards ou des hommes de main payés par la Cabale pour sauvegarder leur précieux investissement. S’ils se tenaient à bonne distance de la voiture, ils sont maintenant forcés de s’exposer et d’empêcher la tuerie. Je crains le pire. Un bain de sang.
Seul contre tous
Ils vont sortir les armes quand soudain un jeune page, suivi de son maître, traverse les rangs. Il quitte la selle de son cheval pour se diriger vers la voiture.
Pour avancer dans cette mêlée, il joue des coudes, bouscule les obstacles. Deux hommes tentent de le retenir, n’appréciant point qu’on leur marche sur les pieds. Ils vont en venir aux mains, le jeune homme se défend. Alors qu’en le tirant par le col, on fait sauter les boutons de son pourpoint, il se défait de ce vêtement, échappe à l’emprise. On veut le rattraper. Je me poste en travers. Nous sommes trop près les uns des autres pour que je puisse sortir l’épée, mais la lame d’une dague pointée sur eux avertit ces querelleurs du risque à courir s’ils font un pas de plus. Le jeune homme est libre, il me salue d’un hochement de tête et saute sur le marchepied du carrosse.
— Madame, dit-il en se découvrant, souffrez que j’intervienne en votre faveur.
L’Italienne n’a pas le temps de répondre que, déjà, l’autre a volé comme une flèche, il est à la droite du cocher. Celui-ci, en voyant surgir ce cavalier qui ne lui a pas révélé ses intentions, croit de son devoir de chasser l’importun. Mais l’importun, d’une poigne de fer, le somme de s’asseoir. L’autorité naturelle de l’inconnu est si forte que le cocher se soumet et tend ce qu’on exige de lui : son fouet.
Le jeune homme grimpe aussitôt sur le toit de la voiture. Il devient le point de mire de toutes les attentions. Cette initiative soudaine, la silhouette puissante de ce jeune homme qui trône au sommet, comme la statue d’un guerrier antique sur son socle de bronze, déstabilise la foule. On voit la force, moi je vois David. Ce page sorti de nulle part, le fouet à la main, défiantla multitude, vaut ce berger d’Israël, armé d’une fronde, tenant tête à Goliath.
Si certains réalisent qu’un nouveau Roland a jailli du chaos, d’autres s’imaginent à tort qu’un exécuteur va satisfaire leurs appétits de meurtre et de pillage.
On va lui lancer une hache ou un glaive, pour qu’il punisse d’une main et qu’il écorche de l’autre. Mais avant qu’on lui dise : Attrape ! en lui tendant ces armes, il lève le bras. Le fouet claque par trois fois. Il siffle dans l’air pour éloigner les loups.
Non loin de moi, non loin de lui, le gardien de cet intrépide et vaillant jeune homme ne sait encore s’il doit agir à son tour. Faut-il ramener ce page à sa
Weitere Kostenlose Bücher