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Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Titel: Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoît Abtey
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place ou au contraire se réjouir et féliciter un courage qui lui fait honneur ? Folie ou raison ?
    C’est la raison qui parle, cette raison ardente et combative que la jeunesse éclairée semble avoir pour apanage.
    — J’appelle les volontaires ! dit-il… Le premier qui s’avance, je lui fends les lèvres ! Eh bien, j’attends ! Toi, peut-être ? Non ? Le voisin, alors ? Non plus ? Et là, de ce côté ? Personne ne veut sortir du lot ? Quelle est cette ombre qui se rétracte quand on l’approche ? Que craignez-vous ? Je suis seul, et je n’ai pas plus de seize ans… Je ne devrais pas vous effrayer davantage qu’une femme sans défense… Alors, je vous écoute, que le tribunal se prononce… Quel mal a-t-elle fait ? Quels crimes a-t-elle commis ? A-t-elle pris vos enfants ? Égorgé vos frères ?
    Une voix se fait entendre.
    — Elle est italienne ! Les Italiens, c’est pire que la peste !
    — Ignorant ! répond le jeune homme avec l’assurance d’un tribun. Sais-tu qui tu es ? D’où tu viens ? Rome fut le précepteur de la Gaule, le maître de tes ancêtres ! Les fondations de nos cités, dit-il en désignant du doigt le toit du carrosse, ont été taillées dans la pierre par les ouvriers de son Empire ! Nous sommes d’un même sang, d’une même race ! En te voyant, en t’entendant, elle peut en rougir de honte, et se croire maudite ! Songes-tu que là-bas, de l’autre côté des frontières, on montre les tours de Notre-Dame en se prosternant, que l’on jalouse cette Ville qui fait l’orgueil de la France…
    Du haut de sa chaire, ce jeune harangueur à la chemise déchirée domine les âmes. Il semble vouloir les tirer de la lie où elles ont chuté. Le silence fait suite au désarroi et nul n’ose la moindrebravade. On se voit pris en faute. Pas un coup n’a été donné, mais cette parole, cette hardiesse ont frappé chacun en pleine poitrine. On ne peut en rire, on fait profil bas, les groupes se défont, les rangs se dispersent. Le jeune homme saute à terre. Il rend son fouet au cocher. La femme qui déclencha ce soulèvement dompté in extremis a rejoint son attelage, suivie de son mari, courbé par la gêne. La voiture, libérée de toute entrave, va enfin pouvoir s’échapper.
    Vous reverrai-je ?
    Je reste en retrait et j’observe encore. L’Italienne donne sa main à baiser et s’adresse à son sauveur avec émotion en citant Virgile : Il arrive souvent dans un grand peuple qu’une sédition éclate et que l’ignoble plèbe entre en fureur. Déjà, les torches volent et les pierres ; la folie fait arme de tout. Mais alors, si un homme paraît que ses services et sa piété rendent vénérables, les furieux s’arrêtent, se taisent, dressent l’oreille : sa parole maîtrise les esprits et adoucit les cœurs.
    — Que peut-on offrir à celui qui vous libéra du nœud de la haine et vous arracha aux bras de la mort ?
    — Un sourire, madame, répond le jeune homme. Il éclaire celui qui le donne et félicite celui qui le reçoit.
    — Ce sourire peut être trompeur, il déguise parfois le fond de ma pensée. Celui que je vous offre est le plus fidèle témoignage de ma gratitude.
    Puis tendant une autre bague :
    — Tous les présents seraient vains, acceptez néanmoins cet hommage…
    Le jeune homme se redresse.
    — Madame, je ne suis pas riche, mais votre sourire m’a comblé. Je n’en espérais pas davantage, gardez votre bien.
    Il s’écarte d’un pas.
    La femme replace à son doigt cette bague que je vois d’assez près pour savoir qu’elle est de grande valeur. Elle retient encore ce bel inconnu, qui, si belle soit-elle et si épanoui soit-il, pourrait être son fils.
    — Vous reverrai-je ?
    La question est inattendue.
    Le page est troublé. Il rougit.
    Le maître de ce jeune homme est revenu le prendre en main. Il s’incline devant l’Italienne, avec courtoisie, mais retenue. L’ombre de cet homme fort laid qu’il aperçoit aux côtés de cette femme fort belle semble l’obliger à la méfiance. Je le sens. Je le vois.
    D’ailleurs, profitant de sa position de cavalier, son regard a peut-être balayé les environs. Il a dû voir, quelques instants plus tôt, cette escorte lointaine franchir les limites imposées, se préparer à fondre sur la foule pour libérer l’otage.
    Du reste, moi, je les vois à présent tourner bride et s’éloigner.
    Bref, tant de mystères et de ténèbres autour de cette femme : ce passager qui ne souffle mot et ne

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