Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
et demande :
— Avez-vous de quoi suivre ?
Don Juan de Tolède regarde devant lui. Il n’a plus rien, table rase. Il reprend son investissement de départ en enlevant le bijou de son oreille. Il pose la mise devant lui et dit :
— Voici de quoi disputer une première manche.
Le barbon regarde l’objet et n’en croit pas ses yeux.
— Ainsi, après vous être lâchement dérobé, vous confirmez, dit-il. Quelle audace ! Quelle impudence !
Puis désignant la parure comme une chose monstrueuse, il prend son épouse à partie :
— Reconnaissez-vous, madame, cette pièce d’orfèvrerie que l’on vous déroba sur la grand-route ?
— Peut-être, oui, dit simplement l’intéressée.
— Peut-être ? Un cadeau de mariage ! Cet arrogant cavalier se moque de nous !
— Tout beau, monsieur, répond celui-ci, s’il vous rappelle un objet cher à vos yeux, il n’en aura que plus de prix. Battez-vous pour l’avoir…
L’aventurier se ressert à boire, il vide une bouteille qu’il lance derrière lui, sans regarder où elle tombera. Une bonne main la rattrape avant qu’elle n’avertisse l’hôtelier de l’état réel dans lequel se trouve le prodigue aventurier. Celui-ci vide son verre et achève sa phrase :
— … Dans les règles du jeu.
Le barbon prend la salle à témoin, il entend profiter de l’ébriété du séducteur pour prendre sa revanche.
— Me laisser reprendre ce qui m’appartient ? C’est là votre seule offre ? Vous n’avez rien de plus ?
Don Juan de Tolède se lève. Il est chancelant. Il tend sa coupe pour qu’on lui verse à boire. On le sert. De nouveau, il la vide d’un trait. Cette fois, c’est le verre qui est lancé. Et cette fois, personne ne peut le rattraper. Il va se briser au sol.
— Mais non, monsieur, comme je vous le disais, je vais en ce monde les mains libres. Je change de nom, de camp, de femme, et de pays quand il me plaît. Je joue ma vie pour un rien, à la moindre occasion… le matin au réveil, le soir, entre deux verres. Gagner un souvenir, un mot d’amour, ou tout perdre d’un claquement de doigts, c’est là mon plus cher divertissement.
En face, l’autre le regarde avec dégoût.
Mais don Juan en impose. Il poursuit :
— Vous voulez hausser les enchères… Fort bien, je me livre, si vous emportez la partie. Vous pourrez me donner à vos chiens, aux bâtons de vos gens, si le cœur vous en dit. Je fais le serment de n’opposer aucune résistance à la cruauté de vos sévices. Cela vous convient-il ?
— Assurément, répond simplement l’adversaire en invitant l’aventurier à s’asseoir.
Entre-temps, l’hôtelier, alerté par ce bruit de verre brisé, a surgi de sa cuisine. Il a entendu les paroles du don Juan. Paroles inquiétantes pour tous ses admirateurs et pour l’aubergiste en particulier. Il ne comprend que trop bien. On s’est… joué de lui.
Décomposé, il s’approche de l’aventurier et ne demande qu’à être rassuré :
— Mais enfin, monsieur plaisante, je suppose… Je veux dire au sujet de vos agapes, vous seriez prêt à partir sans me dédommager ?
Don Juan de Tolède ne va pas, hélas, lui apporter le réconfort qu’il attend :
— Ah mon ami, je crains qu’il ne faille vous faire payer en musique, si d’aventure la bonne chance me faisait faux bond. On chantera une complainte à mon départ, j’y compte… N’est-ce pas, Fortunio ? Eh oui, il est un temps pour s’enivrer sans songer aux malheurs qui vous attendent et un autre pour tremper son pain dans les larmes.
— Soyez sans crainte, s’exclame le barbon, si ce coquin me revient, l’on verra comme je peux être généreux dans la victoire. J’épongerai ses dettes en vous laissant ce rubis qu’il dépose sur le plateau avec sa petite personne.
— Voilà qui est dit, s’exclame l’aventurier. Allez en paix et rapportez-nous du vin, monsieur l’aubergiste. Quoi qu’il en soit, votre profit est assuré.
La partie commence avec les cartes.
Notre roi de cœur gagne la première tournée.
Le visage du barbon s’assombrit.
Les joues de son épouse se colorent.
La donne a momentanément changé.
Avant d’obtenir la chair et l’âme de ce don Juan, il faut d’abord reprendre la monnaie sonnante que l’on vient de laisser filer dans ce tour d’ouverture. Mon complice Bastoche, à qui rien n’échappe, me fait un signe. Il me désigne l’épouse. Je recule discrètement afin d’élargir mon champ de vision. Et ce que je vois
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