Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
me fait sourire.
En dessous de table, la belle fait du pied au don Juan. Un instant troublé par cette approche souterraine qui vaut presque une déclaration, celui-ci se laisse divertir et perd ses gains qu’il vient juste d’empocher. Tout est remis en jeu. C’est à se demander ce que veut réellement cette séductrice. Déstabiliser le joueur pour mieux le perdre et le punir ? Ou bien le laisser prendre par un mari abusé, afin de le délivrer ensuite, et l’avoir, ne serait-ce qu’une nuit, tout à elle ? Dans quel camp est-elle ? Le sait-elle elle-même ?
Ah, Sire, certaines femmes sont bien doubles et bien changeantes…
— Eh bien, monsieur, finit par dire le don Juan en écartant légèrement sa chaise, puisqu’à tout prendre, à ce jeu-là, le sort peine à trancher, passons à autre chose. Faisons rouler les dés.
— Les dés ! s’offusque son interlocuteur. Je suppose que vous avez pris l’habitude de les lancer sous la tente, entre ribauds et violeurs de femmes, pour remettre en jeu le sac de la veille. Cependant, regardez-moi, ai-je le profil d’un lansquenet ?
— Vous jouez petit et avec des gants. J’insiste. Au jugement de Dieu.
— Laissez Dieu à sa place : loin d’ici.
— Eh bien… Cette bourse contre ma peau. Sur un seul tour. Voyons si vous avez de l’estomac.
Le barbon veut trouver une belle manière de s’esquiver, mais son épouse lui fait les yeux doux. Relevez le gant, imposez-vous , semble dire ce regard. Le chantage est imparable.
— Soit. Pourquoi pas. Après tout… une fois n’est pas coutume.
On apporte une paire de dés, on vérifie leur authenticité.
Le barbon commence. Il fait un double cinq.
Don Juan est perdant. Il n’a fait que huit.
Dans la salle, c’est l’abattement. On ne veut pas y croire.
— Tenez, aubergiste, dit le vainqueur en remettant la bague qu’il avait promise. Payez-vous, monsieur, dit-il à son prisonnier, si vous voulez bien me suivre.
— Je vous la rachète, dit une voix venue de l’arrière.
Le tout pour le tout
Silence. Stupeur. Les rangs s’écartent, on fait place à ce nouvel arrivant qui descend les marches de l’escalier. Il vient de l’étage où il était accoudé à la balustrade, personne ne l’avait remarqué.
Je le reconnais sans l’avoir jamais aperçu. Le déguisement est trompeur. De loin on croirait voir venir un galant jeune homme, au chapeau incliné, recouvert de sa cape, chaussé de larges bottes à revers. Il s’approche en faisant sauter dans sa main une bourse pleine. Et bien pleine. Ce tintement qu’elle fait entendre prouve sa valeur. Sa valeur marchande.
— Qui êtes-vous, damoiseau ? demande le barbon.
— Ouvrez les yeux, mon ami, s’exclame son épouse, le damoiseau est une demoiselle.
— En effet, confirme l’intervenante en se découvrant. Elle lance son chapeau, il va délicatement se poser sur la table. On voit sa chevelure, une chevelure noire, une chevelure de femme.
Cet acheteur qui vient de prendre la parole, c’est le disciple de Lanteaume, sa petite main, sa farouche élève aux lèvres rouges. Elle reprend la parole :
— Qu’importe mon nom, je souhaite procéder à un échange. Cette bourse que voici, dit-elle, contre votre esclave.
— Une rançon ? Intéressant, dit le barbon, et pourquoi cela, dans quel intérêt ? Souhaiteriez-vous en faire votre chose ?
— Je n’ai ni Dieu ni maître, monsieur. Disons que je revendique ma liberté, et que parfois, pourquoi pas, je suis prête à mebattre pour celle des autres. Plutôt que de verser le sang, parlons chiffres, faisons commerce. J’ai suivi votre petite partie, de là-haut. Je n’ai pas le pouvoir d’ouvrir les prisons, de faire le procès des juges, de dévoiler les crimes de nos potentats… Je n’ai qu’une âme et deux bras… et puis, cette bourse. Je vous la donne.
— Pour rien ? dit en souriant le vainqueur.
— Pour lui. Il veut risquer sa tête, soit… mais j’ose croire qu’il mérite une mort digne d’un homme.
Le barbon se lève. Il se sert à boire et savoure sa position de force.
— En effet, mademoiselle. Vous n’avez que deux bras, je ne vois aucune épée pointer derrière vous, ni aucune escorte assurer vos arrières. En revanche, j’ai trois gardes bien armés, avec moi, je vous les présente. Messieurs.
Le barbon claque des doigts.
Ses hommes approchent.
La jeune femme fait deux pas en avant.
Elle ouvre son manteau, découvre son pourpoint. Trois lourds
Weitere Kostenlose Bücher