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Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Titel: Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoît Abtey
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du plus offrant.
    En cours de route, je lui fais part de mes mésaventures de la matinée, je le tiens au parfum. Nous approchons de notre destination. Nos chemins doivent se séparer. Je le laisse partir devant moi et franchir la porte le premier. Notre association doit demeurer secrète. Je veux qu’il se faufile librement, qu’il donne l’impression de ne répondre à aucun ordre, qu’on ne puisse le suspecter de ne servir aucun maître.
    À l’instant où je vais longer la taverne, une voiture vient se ranger.
    C’est celle de ce fat, puissant bourgeois ou fortuné gentilhomme, je l’ignore encore, dévalisé en pleine forêt de Bondy, et dont nous fîmes la connaissance en place de Grève. Les cavaliers de sa garde mettent pied à terre. On va ouvrir la portière, le dos courbé et la main tendue pour accueillir celle de la passagère, cette jeune recluse que je vois maintenant dans la lumière du jour.
    Je reste à l’arrêt pour mieux observer cette sortie.
    Madame me reconnaît, incline légèrement la tête.
    Je ne saurais dire ce qu’expriment son sourire et son regard jetés de haut, d’un sommet inaccessible au commun des mortels, un sommet où l’air doit être mordant et la solitude profonde. Àtout dire, les sentiments de cette femme semblent partagés. Le maintien des apparences interdit la sincérité des émotions.
    L’époux lui cède le pas.
    Quel contraste !
    C’est la fraîcheur, la grâce, la jeunesse d’un côté, l’austérité et la suffisance de l’autre. La rose et le chardon. Entre ces deux êtres si différents, vingt ans de séparation creusent un fossé que l’amour partagé ne saurait combler. Pourtant, un invisible trait d’union tient manifestement ce couple en accord : celui du calcul et de l’intérêt.
    Le mari étire sa moustache et paraît dans son luxe dénué de fantaisie. Il porte une tenue d’un gris sombre, un petit chapeau serti d’une bande d’argent, des bottes et des gants couleur souris, une épée de parade à la taille.
    Il me voit et m’ignore, feinte indifférence.
    J’ouvre la porte et je me tiens à l’entrée. J’invite la captive à me précéder. L’autre croit bien évidemment que je vais m’écarter pour lui céder le passage. Erreur. Je lui coupe la route et lui vole son entrée remarquable.
    Décidément, ces introductions qui font beaucoup dans la présentation de soi lui échappent sans cesse. C’est à peine si la porte ne lui tombe pas sur le nez, poussée par un violent courant d’air…
    La déveine s’acharne aujourd’hui à le tourner en dérision.
    La jeune épouse doit même se mettre la main au visage pour cacher sa honte quand notre homme paraît dans la pièce en trébuchant sur ce pied que je mis malicieusement en travers de ses jambes. On manqua d’un cheveu une dégringolade qui eût ligué dans le rire et la moquerie toute la salle contre lui.
    Il se rattrape à temps au bras de son épouse. Celle-ci doit non plus le supporter, mais encore le soutenir bien malgré elle, afin d’empêcher que son diable de mari ne l’entraîne dans sa chute.
    — Mon ami, vous me faites mal, finit-elle par s’exclamer tant le malheureux s’agrippe la main serrée à ce point d’appui.
    Le fâcheux voit rouge. Il me cherche, mais j’ai déjà pris place, je ne suis plus là où il m’attend. Les gardes font leur entrée. Ils obéissent sans un mot à cet ordre silencieux qui leur est donné de la main : celui de fermer les côtés. Revenu de sa désastreuse apparition, la deuxième en moins d’un jour, notre homme au bras de son épouse va prendre le centre et se dirige droit à cette tablede jeu où l’on attend sans impatience mais avec confiance tout cet argent frais qu’il voudra bien venir y perdre.
    Notre don Juan a investi les lieux de toute sa présence. Ce paladin désargenté semble avoir conquis le monde. Autour de lui, une ronde s’est assemblée. Elle est faite de toutes les couleurs, de tous les rangs, des petits, des grands… une humanité entière s’est formée par juxtaposition. Là encore, le lien fédérateur est évident. Le bon vin réjouit le cœur de l’homme comme il fait les bons amis. Il semble sortir, avec toute une floraison de cochonnailles, d’agneaux à la broche, de poulets farcis, d’une corne d’abondance. Les bouches affamées sont pleines, les tasses ne sont jamais vides. Qui veut boire à la source n’a qu’à y porter son verre, qui veut se repaître la panse n’a

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