Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
son poing où les dés sont enfermés.
— Inspirez bien large et soufflez sur cette main. Votre génie s’imposera, aussi sûrement que ces dés feront double six.
Le comédien obéit. Cette fois, il n’y a pas de trucage, j’en jurerais. L’aventurier remet tout en cause sur un coup de dés. Sa vie et l’argent posé sur la table.
Il fait durer le silence. Enfin, d’un geste brusque, il ouvre sa main. Les dés roulent un court instant, autour du cercle. Chacunest dans l’attente. Que va-t-il sortir ? Que va décider le sort ? C’est bien un double six.
C’est la liesse.
Au pire des cas, il faudra rejouer une autre fois.
Mais le barbon fait un petit résultat. Quatre et trois font sept.
— Eh oui, dit le don Juan, mieux vaut jouer contre un pipeur que contre un chanceux. Allons, monsieur, serrons-nous la main.
Mais le perdant refuse de s’abaisser. Il se tourne vers son épouse et dit avec froideur :
— Venez, Adélaïde, nous partons !
— Adélaïde, me dit Fortunio, c’est donc son petit nom. Charmant.
Le vaincu se retire, escorté de sa garde, suivi de son épouse. Celle-ci jette un dernier regard au don Juan qui se lève, le verre plein, et la salue avec effronterie.
Elle ne peut offrir aucun adieu, car son mari lui a repris le bras et l’oblige à hâter le pas, avant qu’il ne fasse claquer la porte derrière elle.
Les complices s’affrontent à couteaux tirés et le cardinal de Mazarin servira d’intermédiaire
Mais tout n’est pas fini.
Il y a de l’or sur la table, à profusion. Les festivités vont pouvoir reprendre de plus belle. L’aubergiste a retrouvé son sourire. Sa maison, qui manqua un instant d’être mise à feu et à sang, sera épargnée. Mieux encore, il va toucher son dû et continuer de faire tourner sa boutique, l’esprit serein, la joie au cœur… Que l’on remette des civets sur le feu, des jambons sur les lardoires, que les tonneaux soient percés, tournée générale…
La bonne humeur revient. On respire.
Ces deux-là, Votre Majesté, don Juan de Tolède et la frondeuse, avaient en vérité dressé leur plan secrètement pour tendre un piège au barbon et saisir à quatre mains un joli profit. Tout fut certainement préparé entre eux avant mon arrivée.
Alors que tout le monde s’égaye, s’empiffre de part et d’autre, je reste tranquille. J’allume une pipe et je suis la conversation qui s’engage entre ces deux complices portés aux nues. Ils prennent place à la table de jeu, l’un en face de l’autre.
— Faisons le partage, dit la jeune femme.
— Comme convenu. Moitié chacun.
— Vous avez pris des libertés bien dangereuses.
— La liberté est dangereuse par nature, cela fait tout son charme.
— Ce n’était pas à vous de jouer ce coup de dés, à la loyale.
— J’aime improviser, j’aurais dû vous prévenir.
— Mais si vous aviez perdu ?
— Il aurait fallu s’avouer vaincu ou sortir les armes.
— Tricher, oui, voler, non, c’était pourtant l’idée…
— Eh oui, il faut varier les plaisirs. Je vous avais dit qu’il avait de la ressource, qu’il brûlerait tout… ah, vanité. La bécasse est plumée. À sa santé. Je vous offre un verre ?
— Un seul. Vous devriez arrêter. Vous êtes ivre à battre les murs.
— Pas le moins du monde. Trouvez-moi une cible et vous verrez que je peux planter un couteau, à cent pas, dans un cercle large comme un cul-de-bouteille.
— Je parie que non.
Silence.
— Tenu. Qu’est-ce qu’on joue ?
Nouveau silence.
— Ce qu’on a. Sa part.
L’aventurier sourit et il approuve :
— C’est honnête… Vous me plaisez. Je ne vous le cache pas.
— Levez-vous et voyons déjà si vous arrivez à rester debout sans qu’on vous tienne.
— Le sage , réplique l’aventurier en citant Cicéron à propos , ne doit pas faire fi des plaisirs, qu’il sache aimer la femme et apprécier le vin.
Par défi, don Juan vide un autre verre.
— Tavernier , crie-t-il, à boire, j’ai soif !
Il se lève, mais il est branlant.
La jeune femme sort une affiche de son pourpoint. C’est un brûlot avec une caricature du Diable rouge , un portrait du cardinal de Mazarin. La frondeuse va la planter d’un couteau au milieu d’une porte. L’aubergiste prend peur. On le tient à l’écart. Les rangs se reforment. Reprise des hostilités.
On s’informe des enjeux et on lance des paris. Par précaution, on se tient à distance de la cible, un accident est vite
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