Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
bien vous former. Vous ne comptez point quitter Paris dans l’immédiat ?
Edmond de Villefranche abat son jeu
— Hélas, dit Edmond de Villefranche, je me dois d’être honnête avec Votre Éminence, j’estime être victime d’une injustice, et je suis aujourd’hui sans ressources. La vie parisienne est fort onéreuse pour un gentilhomme de province n’ayant que la cape et l’épée. Je ne suis venu à la Ville qu’afin d’être entendu, et d’avancer les premières démarches pour l’avenir d’Hercule.
Cette fois, le cardinal tient à s’entretenir en particulier avec le gentilhomme Edmond de Villefranche. En termes courtois et fort délicats, Son Éminence prie donc le jeune page de bien vouloir reprendre sa place dans l’antichambre et d’y attendre son maître. Hercule se retire. Monsieur de Mazarin peut alors reprendre la conversation.
— Rassurez-vous, dit-il à l’adresse de son interlocuteur. Votre oncle s’est engagé à vous verser une pension. Je vais le prendre au mot et l’obliger dès demain à vous débourser un premier versement. Cela vous mettra à l’abri du besoin pour les prochains jours.
— Sauf votre respect, monsieur le cardinal, je ne puis recevoir dignement l’aumône de ce voleur, oui voleur ! Cette crapule a tout bonnement falsifié le testament de feu mon père pour s’octroyer toute sa fortune. Et je devrais, misérable, me laisser acheter à moindres frais, pour le laisser dévorer en paix le fruit de sa rapine ! Le salaire de son crime !
— De son crime ! Vous n’y allez pas par quatre chemins…
— Hélas, je ne puis encore apporter les preuves nécessaires pour inculper ce fourbe, mais je trouverai ! Mon père, je l’affirme, ne fut point rappelé à Dieu comme on le crie, par suite d’un mal de ventre ! C’est le poison qui l’a tué ! Un poison que Judas lui fit prendre lors de son dernier repas !
— Monsieur, vos accusations sont graves.
— Oui, mon oncle joue un beau personnage ! Mais il a peur, il tremble ! Il vient me précéder, les mains chargées de présents et de symboles, pour parer aux attaques que je vais lui lancer ! Hier au soir, alors qu’il se trouvait face à moi, à l’entrée du théâtre de Bourgogne où il venait assister au Cid et rougir de colère certainement en voyant Hercule s’imposer sur la scène, emporter les suffrages, hier au soir, alors qu’il se trouvait face à moi, dis-je, je lui ouvris mon cœur publiquement… Et quelques mots, terribles à ses oreilles, l’effrayèrent si fort de se voir perdu et démasqué, qu’il lâcha toute sa bourse aux mains des malandrins chassant dans les parages. Le rideau tombé, j’avais à peine retrouvé la rue que je fus cerné par cette meute de traîneurs d’épée, comme un gibier dans les bois ! Le Ciel me porta secours, des renforts inattendus me permirent de sortir indemne de cette place où j’étais pris au piège. Ah, la belle tête que fit monsieur mon oncle, ce matin, en me voyant dans ce palais, sain et sauf, comme revenu d’entre les morts !
— Pourtant, s’il vint ce matin m’apporter cette offrande, La Vérité triomphant de la Calomnie , c’est bien qu’il s’attendait à vous voir passer la porte de mon cabinet. On ne contre-attaque pas les charges d’un homme qui n’a plus de voix pour parler, de force pour se battre.
— Pour commencer, comme je vous le disais, je l’ai provoqué devant témoins. On aurait pu rapporter mes paroles aux premières lueurs du jour… vous dites entendre bien des choses. Ensuite, il paraît peut-être au fait que j’eusse pu laisser après moi des lettres, des documents vous avertissant, l’accablant.
— Résumons. Votre oncle serait l’assassin de votre père, il aurait truqué les pièces de son testament…
— Avec tous ses complices, juges et notaires, qu’il fallut soudoyer au passage !
— Enfin, pour faire taire ce gêneur qui vient le poursuivre jusqu’à Paris, il paye des mercenaires et cherche à vous tuer. Voilà de lourdes charges !
— J’en ai encore une à porter contre lui. Mais cette fois, il ne s’agit pas seulement de crimes fratricides, mais de complot d’État !
— Que dites-vous là ?
— Dépouiller les siens ne lui suffit pas, il faut encore qu’il offre ses services à une cabale, qu’il se mêle aux intrigues les plus noires.
— Monsieur, je vous écoute de toutes mes oreilles.
L’espion
“Mon oncle tient à son service une poignée de serviteurs
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