Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
aux pièces éclatées. Mais je suis bien certain qu’aucun élément n’est tombé entre vos mains par l’effet du hasard. Nous verrons bientôt que tout s’emboite, j’en ai le pressentiment. Car la partie ne fait que commencer. Et vous avez raison, pour confondre ces conspirateurs que la direction des affaires et la rude gouvernance de monsieur de Richelieu me laisse en héritage… Pour accuser ouvertement ces intrigants qui se vengent aujourd’hui sur ce parvenu italien des blessures portées hier à leurs orgueils de grands seigneurs, il nous faut des faits, des documents, des armes ! Des arguments de poids qui puissent nous permettre d’inverser la donne, et pourquoi pas, de forcer la conversion de ces rebelles ! Un ennemi dangereux ne demande qu’à devenir un allié puissant. Je suis pour la transformation des causes et des influences, non pour l’épuisement des forces.
Mais on frappe à la porte.
Un garde annonce des visiteurs.
— Nous fûmes obligés de séparer ces messieurs qui patientent, désormais chacun de leur côté, dans les antichambres, précise l’annonceur.
— Et pourquoi donc ? questionne le cardinal.
— Un lourd différend semble les opposer.
— Présentez-les-moi avant de les introduire.
— Le plus âgé se nomme monsieur Hubert de Gaillusac et le plus jeune, accompagné de son page, Edmond de Villefranche.
— J’attendais en effet ce dernier. Cependant, honneur aux anciens, que monsieur de Gaillusac entre le premier. Mais faites-le patienter encore trois minutes, je vous prie.
Une fois le garde parti, le cardinal me prend par le bras.
— Vous êtes désormais mon agent, d’Artagnan. Et mes agents sont mes autres moi-même. Je veux que nous n’ayons aucun secret l’un pour l’autre. Afin de m’éviter une perte de temps, de m’obliger, à mon tour, à vous retranscrire ces entretiens qui concernent des personnes qui pourraient être liées de près ou de loin à notre affaire, ayez la gentillesse de bien vouloir entendre ce qu’ils ont à me dire, écoutez-les plaider de votre côté, là, derrière ce paravent. Vous me donnerez ainsi votre avis à chaud. Rien ne vaut une réaction sur le vif. Ne soyez pas surpris, monsieur d’Artagnan, vous commencez à voir comment je pratique la politique et je crois que nous allons devenir bons amis.
Surpris – on le serait à moins –, je dois obéir.
Monsieur de Gaillusac – le barbon malheureux au jeu comme en amour – entre donc le premier.
Je me tiens bien caché, sans faire un bruit et j’écoute.
La Vérité triomphant de la Calomnie
— Que me vaut l’honneur, monsieur de Gaillusac ?
— Votre Éminence, je viens tout d’abord – frappé par la nouvelle qui nous afflige – vous présenter mes condoléances, des condoléances qu’à travers Votre Seigneurie j’adresse également à Sa Majesté la reine, des hommages que je destine à monsieur le dauphin, l’héritier de la Couronne, au roi.
— C’est bien aimable à vous, monsieur de Gaillusac.
— Je suis certain que feu Louis le Juste a su conserver à l’heure suprême cette dignité qui le caractérisait…
— En effet, en effet, mais je veux croire, monsieur, que vous arrivâtes au Louvre avant d’apprendre le départ de notre roi pour le grand voyage. Aussi, venons-en aux faits, je vous écoute.
— Voilà. L’affaire est délicate et pourtant fort commune. Mon frère nous a quittés, également, voilà plus de six mois. Il n’avait qu’un descendant, mort en de tristes circonstances et la barbe trop jeune ! Nous le pleurons encore. En bref, j’étais sa seule famille.Il m’a donc tout naturellement légué, dans son testament, la totalité de sa fortune. Mon frère était riche, je ne le cache pas. J’ai fait, de plus, un heureux mariage. Je connais certes le bonheur, mais tout se paie, aujourd’hui l’injure et la jalousie me pourchassent ! Oui, monseigneur, je suis mangé des mouches ! Mon frère, homme d’honneur, gentilhomme, perdit son épouse peu de temps après le trépas de son fils. Il ne songea jamais à se remarier, mais… il n’était pas de bois, il eut des aventures. L’une d’elles le gratifia d’un fils naturel, né d’une femme de petite noblesse. Certes, il prit soin de l’enfant, remplissant ses devoirs. Mais enfin, il ne fut jamais question de faire de ce bâtard un héritier légitime. Or, celui-ci, confit d’arrogance, d’aigreur et de vanité, me reproche aujourd’hui de lui
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