Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
rempli de stupeur et de folle joie.
— Lui ! répond avec fougue le chevalier d’Artagnan.
— Ainsi, le cardinal le connaît !
— Mieux, Votre Majesté, il l’estime au plus haut point. Mais laissons-le nous en apprendre davantage :
« — Cher d’Artagnan, je ne vous présente pas ce séducteur aventureux que vous connaissez déjà sous le nom de don Juan de Tolède ; un nom qu’il tient à conserver à la face des hommes et, plus encore, dans le cœur des femmes, un nom qui lui sied, je crois, comme un gant. En revanche, je dois vous présenter mon agent fidèle, mon arme secrète, un espion qui me sert et me sauve, l’un de ces rares amis que je puis avoir, c’est-à-dire l’un des seuls êtres sur qui je puis compter dans le malheur et la déroute comme en toutes occasions ; la plus fine lame que je connaisse et qui, par deux fois déjà, versa le sang pour épargner ma vie. Cet espion, ce cavalier apatride qui traverse l’Europe à la pointe de l’épée, en variant les dialectes, en multipliant les conquêtes et les blessures de guerre, ce risque tout insaisissable a pour nom de code Amadéor… Amadéor : c’est ainsi qu’il signe ses dépêches, qu’il se fait reconnaître par les gens de mon cercle d’informateurs. Un cercle où vous venez d’entrer en bonne place, d’Artagnan.
Il faudra d’ailleurs vous trouver un sobriquet permettant de vous identifier sous le masque tout en conservant l’anonymat… C’est l’usage.
— Et pourquoi pas Amadieu ? propose aussitôt don Juan de Tolède .
— Fort bien, dis-je, cela me plaît.
— Excellent choix, en effet, approuve le cardinal. Dans ce cas, que les chevaliers Amadéor et Amadieu se serrent la main, qu’ils s’embrassent comme des frères. Désormais vous voici liés par la croix et les armes, en cette ténébreuse affaire.
Explications
Le cardinal poursuit :
— Mettons les choses à plat pour gagner du temps. Notre ami Amadéor en sait pratiquement autant que vous, chevalier, sur cette Cabale des Importants et les instruments susceptibles de la servir .
Le cardinal n’a pas à me regarder. Il tousse dans sa main. Il veut me faire passer un message : ce qu’il ne sait pas, ces révélations du jour, nous les garderons pour nous. Puis il reprend à mon intention, en désignant don Juan :
— Il y a plusieurs semaines, j’avais moi-même, à distance et par courrier, ordonné à mon agent de quitter Rome pour suivre la trace de cette empoisonneuse Desdémone faisant route pour la France. Je craignais, à juste titre, que sa présence à Paris n’annonçât de mauvais présages : de nouveaux crimes, des morts suspectes et fort utiles à quelques ambitieux agissant par mains interposées, des morts d’importance, ou simplement la mienne orchestrée en coulisse. Les conspirateurs, comme nous l’apprîmes ensuite, par vos rapports respectifs, messieurs, avaient bien l’intention de manœuvrer cette incomparable criminelle de manière à tuer l’Italien Mazarin par le mal de son pays : le poison.
— Ainsi, dis-je à don Juan, c’était vous ! Vous, l’autre espion, ce soir-là… dissimulé à quelques pas de moi, dans les ruines de cette bastide qui fit autrefois l’orgueil des Lanteaume !
— En effet, me répond l’aventurier. En effet. À travers moi, le cardinal avait pris les devants.
— Nos conspirateurs ont des affidés en tous lieux, répond le cardinal, mais je crois avoir de mon côté une assez bonne police.
« À la mort de Richelieu, nombre de ses agents du secret sont venus frapper à ma porte… Une porte étroite et dissimulée. Ces hommes obéissaient ainsi aux dernières instructions de mon prédécesseur, le cardinal de Richelieu, un architecte soucieux de sauvegarder par-delà la mort les mailles de cette toile invisible qu’il avait tissée de son vivant, jour après jour. Une toile immense couvrant tout Paris et s’étendant à l’étranger, chez nos alliés ou nos ennemis. Une toile relayant l’information, la rumeur, les messes basses… une toile dont chaque rayon prenant pied dans les plus illustres foyers de sédition, comme dans les alcôves les plus fermées, va traverser la rue ou l’océan pour aboutir, sous forme de murmure ou de lettre close, dans ce cabinet que j’occupe désormais.
Alerté à temps grâce à l’une de mes sources, j’envoyai Amadéor en approche, en le contactant par l’un de mes cavaliers, pour qu’il se rende sur place et qu’il prête
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