Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
monsieur l’abbé Grégoire de Ravigneaux.
Ce bon prêtre, aux traits disgracieux, est une merveille en son genre. Bel esprit, habile théologien, érudit comme une encyclopédie, un rien pédant, cette langue dorée manie aussi bien le sermon que l’épigramme. Il se montre évidemment chaste, mais là encore la façade est trompeuse. Je gagerais que cet homme a des pensées secrètes, peut-être même des relations douteuses, des penchants inavouables, des péchés mignons. Il est encore tout jeune, il reste méconnu, mais il promet beaucoup. Il dut se faire remarquer pour ses compétences oratoires et son désir de plaire par des amis de monsieur Gondi, monsieur le coadjuteur en propre.
Le voici mis à l’épreuve, je suppose.
Quoi qu’il en soit, je mettrais ma main à couper que ces deux-là seront à la fête de monsieur de Gaillusac et qu’ils s’entretiendront avec lui, là-bas, à l’écart des invités, dans un cabinet de travail, ou même devant tous, des dernières actualités. Ils vont sans doute convenir avec notre ambassadeur des derniers détails préparant l’entrevue avec le brigand Lanteaume : le lieu et le jour de la rencontre, le prix de la somme promise, peut-être même vont-ils aborder les détails de la mise en œuvre de cette sinistre embuscade dans laquelle on espère me voir tomber. Ai-je besoin d’en dire davantage ? Messieurs mes alliés, amis du secret, je vous confie à vous, Amadéor, et à vous, Amadieu, la mission suivante :en premier lieu, vous glisser parmi les invités de monsieur de Gaillusac. Nos cabaleurs ont leurs faux dévots, ayons les nôtres. Prenez-moi en exemple et grimez-vous tous deux, que l’un ait toute l’apparence d’un bon bourgeois, ami du Parlement. Quant à l’autre, son confesseur, qu’il se ride, qu’il se perruque, qu’il se courbe et joue le sourd, cela lui permettra aisément d’être indiscret sans que quiconque ne songe à se méfier. Le premier se présentera sous le nom de Gilles Tancelin, le second, la sourde oreille, se fera appeler monsieur l’abbé Bernardin du Querroy. Ces intrigants – nos deux compères, madame Edwige de Bellerasse et monsieur l’abbé Grégoire de Ravigneaux – viennent quêter à Paris (c’est la raison officielle de leur pérégrination) les subsides de généreux donateurs, afin que toutes les bonnes volontés de la cour se donnent la main et soutiennent l’édification d’un nouvel orphelinat aux portes de la Ville. Vous allez tous deux, l’un le bourgeois, l’autre le confesseur, l’assistant dans ses dévotions, apporter votre propre contribution à l’œuvre sainte, par une générosité digne d’éloges. »
Ce disant, Son Éminence va chercher sous les plis de son manteau une bourse pleine qu’il remet entre les mains de l’aventurier.
— Oserais-je profiter de cette largesse pour solliciter l’aide de quelques renforts pécunieux ? demande don Juan de Tolède. Les eaux sont basses…
— Tenez, monsieur l’orphelin, dit le cardinal en offrant à son agent privilégié le soutien demandé sous forme d’une bourse de petite taille. Je ne puis faire davantage pour l’heure. Vous aurez le double à notre prochaine rencontre, si toutefois vous m’apportez de bonnes nouvelles. J’aimerais avoir un compte-rendu après-demain. Je vous ferai parvenir à tous deux une adresse où nous retrouver. Varions les points de rencontre et ne prenons pas d’habitudes. Par ailleurs, en un second temps, je souhaite que l’un de vous, sans doute monsieur Amadéor, puisse approcher la troupe de monsieur Lanteaume, et s’il le faut, qu’il soit prêt à l’infiltrer.
— C’est en effet possible, dit don Juan. Pour l’approche, rien de plus simple : il me suffirait de revoir cette jeune frondeuse qui ne vous aime pas beaucoup et qui manie assez bien le couteau de lancer.
— Je sais d’ailleurs, dis-je, où la contacter et peut-être avoir le bonheur de la croiser.
Je suis donc poussé à retranscrire le rapport de Bastoche :
— La belle frondeuse surnommée l’Alouette, répondant au prénom de Margaux, s’est fait entreprendre courtoisement par un jeune élégant de bonne maison, soudain pris d’amour pour cette enfant rebelle vivant en marge des lois. Il la remarqua à la taverne de La Tour d’Auvergne où il était présent. Ce galant déposera sa correspondance amoureuse à une adresse de son choix, chez madame Louise Duramont, pâtissière en sa profession, la boutique ne
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