Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
qu’un client s’y mit la corde au cou. Là encore, j’arrive à temps. C’est-à-dire quand l’homme s’apprête à quitter son gîte. Je le vois de loin, je lui emboite le pas, en restant à bonne distance. Bientôt les passants se raréfient. Mauvais signe. Nous entrons dans un territoire mal famé. Nous passons des sentines puantes, des rues étroites où la lumière du jour descend comme dans un entonnoir. Enfin, l’homme, toujours mis de sombres couleurs, frappe à une porte. Je me range et j’écoute. Quatre coups brefs et trois longs.
C’est un signal.
La porte s’ouvre.
Je me garde bien de faire un pas de plus.
Il se murmure quelque chose que je ne peux entendre.
L’homme rentre, la lourde porte se referme violemment derrière lui. J’entends grincer les verrous. Ceux du haut et ceux du bas. Traduction : Défense d’entrer, je ne suis là pour personne d’autre. Voilà de quoi intriguer. Cette fois, j’ose m’avancer. Je passe, à droite de la porte (une porte en chêne, couleur sang-de-bœuf), un porche délabré. Une petite fenêtre donne sur l’intérieur. Pour l’atteindre, il faut se hisser sur des tonneaux branlants laissés à l’abandon. Je manque de passer à travers, de faire un vacarme affolant, de trahir ma présence. Enfin, j’arrive à hauteur. Je hasarde un œil par la fenêtre, une fenêtre sale, aux carreaux couverts. On y voit fort mal, d’ailleurs l’intérieur est dans la pénombre. Une vague lueur brille dans un coin : celle d’une chandelle à l’agonie.J’aperçois mon homme. Il est de dos, en pleine conversation avec celui qui doit être l’occupant. J’observe brièvement le décor. Il est pittoresque, malsain, inquiétant à souhait. Le long d’une étagère voûtée, on aperçoit des bocaux de diverses formes, enfermant toutes sortes d’étrangetés : des plantes en fermentation, des corps jaunâtres, des graines de couleurs… Là-bas, des animaux empaillés gardent la pose, sinistrement. Passant d’une horreur à une autre, mon regard pourtant curieux tombe sur une table de dissection sur laquelle sont couchés des couteaux rouillés, des lames courbées, des crochets, des pinces et des aiguilles. Au mur, je devine des inscriptions cabalistiques griffonnées à la craie sur des tableaux noirs. Enfin, à côté de ce plan de travail , apparaît la silhouette d’un écorché en cire, tendant un bras décharné, ouvrant grand les yeux.
J’en sais assez pour le moment. Je ne peux rien entendre, mais tout cela sent le soufre.
J’attends donc que mon mystérieux visiteur ait terminé son entretien et qu’il reparte pour aller à mon tour frapper à cette porte qui doit être quelque chose comme l’entrée d’un pandémonium.
Je n’ai pas longtemps à patienter.
Ce n’était l’affaire que de quelques instants.
Je suis revenu à mon poste d’observation, je vois l’homme sortir, tête basse. Il repart sans se retourner. Je vais le laisser aller où bon lui semble. Une fois qu’il a disparu de mon champ de vision, je m’avance et je reproduis son signal.
On semble moins pressé de m’ouvrir, j’aurais dû attendre davantage pour ne pas éveiller les soupçons. Trop tard.
Une tête à faire peur entrebâille la porte.
— Que voulez-vous ? Qui demandez-vous ?
— Le maître de la boutique, dis-je d’une voix ferme.
— La boutique est fermée, me répond-on en voulant en effet me claquer l’huis sous le nez, mais j’ai passé le bout de mon pied en travers de l’ouverture. Je force mon entrée en rentrant de tout mon poids dans la porte. J’arrive à m’introduire. L’individu recule, comme une bête effarouchée. Le peu de lumière que je fais rentrer dans cette grotte semble lui brûler les yeux. Il porte son bras àson visage. Je ne sais si c’est pour se protéger des rayons du jour ou parce qu’il craint un coup porté sur sa tête de fouine.
— Allons, dis-je, en tentant de rassurer l’homme… si toutefois cet individu vêtu d’un tablier maculé de taches, le visage couvert d’une barbe broussailleuse, est bien un digne représentant de l’espèce humaine. On peut en douter.
Ces quelques paroles parviennent en effet à rassurer mon interlocuteur.
— Le mot ?
— Le mot ?
— Si vous ne venez pas vous en prendre à ma pauvre âme, c’est donc que vous venez pour affaire, n’est-ce pas ? Et pour faire affaire, il faut un mot. Ce mot, si vous ne l’avez pas, je ne peux rien pour vous.
— Je viens
Weitere Kostenlose Bücher