Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
partageons .
— Je suis en dette, me dit-il, l’argent ne fait pas tout. Vous m’avez remis en joie, et cela mérite récompense, que puis-je faire pour vous ?
Depuis un moment déjà, je réfléchissais à la bonne manière d’approcher Desdémone. Hier au soir, en voyant qu’elle n’avait d’yeux que pour notre jeune Hercule, je pris le parti de garder encore quelque distance et d’attendre mon heure ; du reste, comme vous le savez, je m’étais engagé, pour mon compte cette fois, à vendre mon épée et peut-être ce qu’il reste de mon âme pour tuer Edmond de Villefranche et recueillir en récompense les charmes de mademoiselle Adélaïde. L’affaire prit un tournant inattendu. Je pus rejoindre le lit de la belle sans coucher sur ma conscience la mort du gentilhomme. Au réveil, je n’étais qu’à moitié satisfait : l’Italienne me revenait en mémoire. Je voyais son visage, ses yeux insondables, je songeais à la Gloire, au bonheur fou de l’avoir, quelques heures au moins, entre mes bras et je pris la résolution de ne pas lanterner plus longtemps. Cela tombait à point, puisque j’appris ensuite qu’il ne lui restait que quelques jours à vivre ! La chandelle brûlait . Je ne voulais pas faire naufrage au port.
D’ailleurs, cette fin imminente pouvait jouer en ma faveur. Quand tout est perdu, on ne songe plus qu’à l’essentiel, et l’essentiel, c’est l’amour.
J’allais donc brusquer les choses, forcer son cœur, la soumettre par un coup d’audace, l’enlever comme un maître reprend son dû et la quitter en vainqueur.
Le plan…
Quant cet inconnu se présenta sur mon chemin, et me proposa ses services, mon plan était déjà arrêté. Soit, il allait y apporter sa contribution volontaire.
— Fort bien, lui dis-je en répondant à son invitation, il y a peut-être moyen de vous rendre utile. Êtes-vous habile de votre main, à l’épée, j’entends ?
— Cher monsieur, me dit-il, à ce jeu-là, je n’ai pas encore trouvé mon pareil.
— Parfait, lui dis-je. Voici l’affaire : j’ai pour ambition démesurée d’approcher une femme inattaquable. Cependant, chaque être a son talon d’Achille. Il semblerait que cette divinité ait un faible pour les entrées théâtrales et les défenseurs au panache blanc… Qu’à cela ne tienne… Voici donc l’idée : vous attaquerez son carrosse, et je surgirai de nulle part pour sauver la passagère des mains de son agresseur. Vous vous défendrez de manière à me mettre en valeur. Vous porterez un coup décisif et l’on croira un instant que le plus habile des deux n’est pas le moins lâche. Mais, non, alors que la dame de mon cœur se voit tomber en pâmoison, je pare votre dernière estocade, et je fais sauter votre arme. Ouf ! En s’imaginant m’avoir perdu sans avoir pu me connaître, me parler, me remercier, elle comprend que ce sauveur ne l’a pas seulement libérée d’un guet-apens, mais qu’il vient bien davantage de lui faire quitter cette prison sans feu ni pain que l’on nomme le désamour. Je n’y gagnerai peut-être pas un baiser donné sur-le-champ, au pas de sa portière, où j’irai tomber à genoux, mais je serai en droit d’être reçu à souper, d’avoir la parole, d’être entendu, de faire ma cour…
L’affaire est ainsi conclue.
Par ailleurs, je veux mêler Fortunio à cette opération.
Il fera le second brigand, masqué jusqu’aux yeux. Ce renfort n’aurait pu remplacer l’escrimeur en titre, mais il fera illusion dans le décor. Reste à trouver le moyen de faire sortir l’Italienne de son hôtel en espérant qu’elle voyage sans escorte. Le moyen, je le trouve. J’ai bien vu, je le répète, comme Desdémone fut charmée par ce jeune Hercule, qui a tant de fraîcheur, de jeunesse et de talent. Aussi ai-je pris le risque de me servir de lui sans le prévenir. J’ai écrit un petit billet signé Rodrigue où je demandais en quelques mots un rendez-vous, au clair de lune, de l’autre côté des remparts. Certes, je pouvais par la suite être démasqué… Après tout, je ne demandais qu’à rentrer dans la place, une fois l’accès autorisé, je saurais bien comment occuper le terrain.
… et l’exécution
Tout s’est déroulé ainsi que je l’avais prévu. Du moins, presque… L’Italienne a mordu à l’hameçon. L’embuscade est tendue, les faux brigands sortent pistolets au poing. J’arrive avant qu’il ne soit trop tard, je me poste devant les armes,
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