Don Juan
qu’on poussait des verrous à l’extérieur, et il se trouva plongé dans les ténèbres.
Clother se rua sur la porte, mais aussitôt constata son impuissance et se tint tranquille. Du dehors, la voix âpre et haineuse de Loraydan lui arriva, haletante de joie :
– Adieu, monsieur de Ponthus, disait cette voix. Jamais plus je ne vous retrouverai sur le chemin de la Corderie, ni sur d’autres chemins. Jamais plus je ne vous verrai rôder autour du logis de Bérengère ! Adieu. Si vous voulez abréger votre agonie, n’oubliez pas que vous portez dague et rapière…
Clother n’entendit plus rien.
– Mon agonie ? songea-t-il. Vais-je donc mourir ici ? Mais comment ? De quelle mort ?
Et un long frisson le parcourut de la tête aux pieds.
Là, dans ce réduit où il lui sembla qu’il se trouvait à des milliers de lieues de Paris, du monde habité, il ne pouvait trouver qu’une mort.
La mort par la faim et par la soif…
Et aussitôt, par un choc de l’imagination, il se dit que déjà la soif le torturait.
Il se raidit contre cette faiblesse et s’ingénia à chercher les motifs de cette haine furieuse que lui portait Loraydan. Cette recherche inutile le fatigua bientôt, et il haussa les épaules.
Puis il se mit à étudier la chambre où il se trouvait enfermé, – à l’étudier à tâtons, en la mesurant de long en large, en touchant les murs. Le résultat de cet examen fut qu’il n’y avait à cette pièce d’autre issue que la porte par laquelle il était entré.
Son attention se concentra alors sur cette porte qu’il tenta d’ébranler, mais en vain. Il essaya ensuite de glisser la pointe de sa dague dans la rainure, mais il n’y put réussir.
En parcourant cette chambre, devenue sa prison en attendant qu’elle devînt son tombeau, sa main avait rencontré plusieurs sièges : il s’assit dans un fauteuil, ramena son épée sur ses genoux, et se prit à rêver… à rêverdans le profond silence, où il ne percevait que le battement de son cœur, dans cette nuit de tombe où il ne saisissait même pas ces fugitives lueurs qui, dans les ténèbres, viennent consoler l’œil de l’homme et lui disent que la vie subsiste autour de lui.
En une rapide succession d’images nettes et précises, il repassa sa vie depuis le moment où elle avait pris soudain toute sa signification, c’est-à-dire depuis la minute où son père, Philippe de Ponthus, était mort.
Il se revit au castel de Ponthus, dans la vieille salle d’armes. Il relut la lettre trouvée dans la poignée de l’épée de Ponthus, et dont les lignes, mille fois parcourues, flamboyaient dans son imagination. Il revécut la scène de son duel avec Juan Tenorio, à l’auberge de la Grâce de Dieu, et Léonor s’érigea dans son esprit enfiévré, telle qu’il l’avait vue ce jour-là.
Léonor ! Elle était là, présente et vivante dans son cœur, et il l’évoquait comme une amie consolatrice, et il lui semblait que toujours elle avait été ainsi présente dans ses pensées – et comme il l’appelait du fond de son âme, brusquement, des larmes vinrent à ses yeux.
Mourir !
Ne plus la voir !
Quelle amertume ! Quelle affreuse tristesse !…
Et il en venait à songer que, un mois plus tôt, dans ces temps si proches et si lointains où il n’avait pas encore vu Léonor, la mort lui eût semblé moins cruelle. Certes, il eût regretté la vie dont l’aurore lui souriait. Mais qu’était-ce la vie sans Léonor ? C’est maintenant qu’il comprenait tout ce qu’il peut y avoir de radieux dans la vie ! Et c’est maintenant qu’il lui fallait mourir… sans avoir revu celle qui vivait en son cœur… Ah ! mourir sans lui avoir dit…
– Jamais elle ne saura… murmura-t-il.
Et presque aussitôt, dans un tressaillement, il ajouta :
– Et moi, jamais je ne saurai le nom et l’histoire de ma mère !…
C’est ainsi que rêvait Clother de Ponthus, tantôt assis dans un des fauteuils, tantôt allant et venant à travers la chambre. Parfois une sombre fureur s’emparait de lui. Et alors, à nouveau, il essayait d’ébranler la porte. Parfois il tombait dans une sorte de somnolence dont il se réveillait tout à coup dans un frisson.
Peu à peu, toutes ces réflexions de son esprit lucide s’embuèrent, se firent moins précises, et enfin se dissipèrent. Peu à peu aussi, ces images qu’il avait évoquées devinrent plus vagues, s’éloignèrent et s’évanouirent, Léonor
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