Don Juan
semblait hésiter :
– Votre salut… et le mien… et celui de Léonor !
– Je jure, dit don Juan.
– Excusez-moi, seigneur Tenorio. Je vous demande un serment dans la forme que j’ai dite…
Et don Juan répéta :
– Quel que soit le jour ou le lieu, quelles que soient les circonstances, je jure de nier toujours être venu cette nuit dans le chemin de la Corderie ou aux abords de l’hôtel d’Arronces…
– Clother ! rugit en lui-même Amauri de Loraydan. Clother de Ponthus, voilà ta condamnation !…
Et un flot de sang monta à son front. Et ce fut lui qui saisit la main de don Juan et la serra à la briser, dans une explosion de joie furieuse.
Et ce fut lui qui murmura :
– Ah ! vous êtes vraiment mon ami… je veux dire que nous sommes désormais amis !
– Étrange ! songea don Juan. Il me sauve la vie et il semble que ce soit moi qui lui rende quelque service d’importance…
– Amis ! continuait Loraydan. Tout ce que j’ai vous appartient. Disposez de moi, de mon pouvoir à la cour, de ma bourse.
– De votre bourse ? fit don Juan qui dressa l’oreille.
– Pourquoi pas ? dit Amauri étonné, j’espère que ce mot ne vous a pas offensé…
– Offensé ? Non pas, de par Mercure ! C’est un mot que je notais au passage, mon cher comte. Mais continuez, je vous en supplie. Vous n’avez pas idée de l’agrément que je trouve à votre entretien…
Don Juan éclata d’un rire joyeux, ce rire frais et sonore qui exaspérait si fort le pauvre Jacquemin Corentin.
– Je continue donc, dit Loraydan. Mon cher seigneur, je suis chargé par Sa Majesté l’empereur Charles et par Sa Majesté le roi des Français de vous rechercher, de vous trouver, de vous provoquer, et de vous tuer.
– Oh ! Pourquoi vous plutôt que tout autre ?
– Parce que je suis le fiancé de Léonor d’Ulloa, seigneur Tenorio. Vous avez meurtri le Commandeur, père de ma fiancée : je dois vous meurtrir.
– Je comprends, fit don Juan avec agitation. Mais pourquoi cette complication d’un duel où, laissez-moi vous l’avouer, seigneur comte, vous auriez autant de chances d’être tué que de me tuer ? Puisque ces deux glorieux monarques veulent venger la mort de Sanche d’Ulloa, que ne me font-ils saisir et livrer au bourreau ?
Loraydan considéra curieusement don Juan qui, sur les derniers mots, s’était remis à rire. Il semblait vraiment que l’évocation de la hache, la vision d’un don Juan montant sur un échafaud tendu de noir pour poser sa tête sur le billot fût pour Tenorio une cause de gaieté… ce que nous pouvons noter, c’est que ce n’était pas affectation. Loraydan répondait :
– Il a été établi que votre combat avec le Commandeur fut un loyal duel. De plus, il a été prouvé que vous ne fûtes pas le provocateur, que ce fut seulement pour répondre à une grave insulte de Sanche d’Ulloa que vous dûtes tirer le fer. La justice impérial et royale ne pouvait donc songer à vous faire un crime de la mort de votre adversaire. Cependant, il fallait venger cette mort : c’est à moi qu’échut l’honneur de le tenter.
Don Juan avait écouté cette explication avec une attention pour ainsi dire frénétique. Son être entier se tendait et vibrait. La folie de l’espérance exaspérée tourbillonnait dans son esprit et y créait de fugitives images d’amour triomphant, et son cœur se serrait jusqu’à lui infliger une souffrance aiguë. D’une voix tremblante, il prononça :
– J’ai donc été sauvé, je dis sauvé ! Moi, don Juan Tenorio j’ai été sauvé d’une arrestation et d’une condamnation à mort ! C’est cela, n’est-ce pas, comte ?
– C’est bien cela, seigneur Tenorio.
– Sauvé, donc, par quelqu’un qui, devant l’empereur et le roi, a dû proclamer ma loyauté, a dû prendre ma défense ? Est-ce bien exact, seigneur comte ?
– Exact au point qu’il semble que vous ayez été présent à l’entretien qui eut lieu en l’hôtel d’Arronces, près de la salle où reposait le cadavre du Commandeur.
– Sauvé, donc, sauvé par quelqu’un qui a dû assister à mon duel avec le Commandeur ?
– C’est la vérité elle-même…
– Sauvé ! s’écria don Juan d’une voix éclatante. Sauvé par Léonor, qui fut l’unique témoin du combat ! C’est Léonor qui a voulu que ne pérît pas don Juan !
Il tomba à genoux, leva ses mains tremblantes.
– Puissances d’amour !
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