Don Juan
parce que M me la duchesse d’Étampes lui donna trop de pâtisserie ; mais, grâce à Dieu, ce ne fut qu’une alerte.
– Tu m’as fait frémir, Champagne. Et ce cher ami, Bassignac ?
– Merci bien, monsieur. Le valet de la chambre de Sa Majesté est fort bien en cour.
– Oh ! que j’en suis aise ! Mais, dis-moi, est-ce que le roi m’a fait demander pendant mon absence ?
– C’est-à-dire, monsieur, qu’à peine fûtes-vous avec M. le connétable et ce seigneur espagnol, je reçus l’ordre de venir, deux fois par jour, voir à votre hôtel si vous n’étiez pas de retour.
– Tends la main, Champagne.
Deux pièces d’or tombèrent dans cette main tendue, et le laquais affirma :
– Nul, pour la générosité, n’égale le comte Amauri de Loraydan.
Le comte de Loraydan regardait s’éloigner le laquais royal, et songeait :
– C’est le fond de mon escarcelle qu’il emporte ! Ce mendiant que je heurtai sur la route est maintenant plus riche que moi. Et ce roi, ce roi égoïste, ce roi féroce qui ne s’inquiète même pas de savoir par quel miracle je puis encore paraître en son Louvre ! Demain, que faire ?… Que devenir ?
La sueur de l’angoisse perla à ses tempes. En une soudaine évocation, il se vit étendu dans du sang, la poitrine trouée. Il frissonna. Mais secouant rudement la tête :
– S’il faut en venir là, ma main ne tremblera pas !… Mais tout n’est pas perdu encore… J’ai une nuit devant moi !… Et d’abord, qui sait si ce misérable usurier de Turquand… Une fois encore… essayons !
Sans pénétrer dans l’hôtel, sans repos après la dure étape de la journée, il s’élança et suivit le chemin de la Corderie, voie inachevée, qu’une vingtaine de constructions espacées bordaient au midi tandis que l’autre côté n’était encore occupé que par des clôtures. À cinq cents toises du portail Loraydan et sur le même bord, s’élevait une demeure de bonne apparence, connue sous le nom de logis Turquand.
Face à ce logis, sur la bordure septentrionale du chemin, une muraille était percée d’une fort belle grille en fer forgé au travers de laquelle se voyait une large allée de tilleuls, et au fond, un massif bâtiment d’aspect seigneurial : mais, inhabité, fermé, il avait ce visage muet et pensif des maisons qui ont quelque secret à garder… quelque remords peut-être.
On l’appelait l’hôtel d’Arronces.
Jusqu’à ce jour, quand le comte de Loraydan avait eu besoin de messire Turquand, il l’avait fait venir en son hôtel : honorer de sa présence la demeure d’un usurier lui eût semblé une déchéance. Mais le temps pressait ! Pour l’orgueil comme pour la vertu, il faut avoir le temps et les moyens…
Dans ce logis Turquand où il venait pour la première fois, Amauri de Loraydan fit son entrée en duc féodal visitant un vassal ; introduit dans la salle d’honneur, il ne jeta pas un regard sur les choses somptueuses qui l’entouraient, tapis maures, meubles précieux, objets d’art, qui révélaient à la fois la richesse et le goût du maître.
Messire Turquand apparut, s’approcha du comte et le salua avec déférence.
C’était un homme d’une cinquantaine d’années, de haute taille, vêtu de velours noir.
Il était vigoureux d’aspect, imposant de physionomie, avec un visage où éclatait une claire intelligence, des attitudes où se révélait cette dignité qui distinguait les opulents bourgeois de l’époque, mais…
Mais il y avait une tare inguérissable à cet esprit, un mal rongeur, une lèpre dévorante :
Messire Turquand voulait être de la noblesse !
Orfèvre célèbre, cette personnalité qu’il avait créée avec du travail, de la patience, du talent, il rêvait ardemment de la noyer dans le flot trouble de la seigneurie. C’était le tourment de sa vie.
– Monsieur le comte, dit-il, c’est un grand honneur que vous faites à ma maison…
– Messire Turquand, dit le comte, pouvez-vous me donner de l’argent ?
– C’est impossible, répondit Turquand.
Loraydan reçut le mot comme une balle dans la poitrine. Mais il se raidit et d’une voix calme :
– Ces trente mille livres que vous m’avez remises la veille de mon départ, vous avez eu le tort de me les envoyer en or, de sorte que j’ai pu les emporter en mon voyage. À mon retour, un gentilhomme d’Orléans me les a gagnées aux dés. Je n’ai payé ni Essé, ni Sansac. Le délai
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