Don Juan
pourra suffire… Jacquemin ! Holà, Jacquemin Corentin !…
Un grand efflanqué de valet se montra aussitôt et tendit à son maître un billet cacheté, en disant :
– C’est d’une senora qui est venue voici dix minutes. Encore une ! ajouta-t-il en aparté. Si j’avais seulement autant de ducats que j’ai tenu dans les mains de ces lettres ! Quelle rage d’écritoire possède donc les femmes ?
Don Juan avait coupé le fil du cachet. Ses sourcils se froncèrent. Sa main trembla légèrement.
L’écriture était de Silvia. Voici ce que disait le papier :
« Arrête, Juan ! Ne pars pas ! Renonce à Léonor ! Si tu passes outre à ce suprême avis, souviens-toi qu’elle-même t’a dit : DÉSESPÈRE, MAUDIT, C’EST SOUS LA MAIN D’ULLOA QUE VOUS SUCCOMBEREZ, SOUS LA MAIN GLACÉE DU PÈRE DE CHRISTA, SOUS L’ÉTREINTE DU COMMANDEUR… »
Une minute, don Juan demeura songeur, les traits contractés. Puis il releva la tête, éclata de rire, et un éclair de défi jaillit de ses yeux.
– Donne-moi une cire allumée, dit-il, un peu pâle. Jacquemin Corentin se hâta d’obéir. Don Juan, à la flamme, présenta la lettre qui, bientôt, ne fut plus qu’une mince feuille de cendre sur laquelle, un instant, serpentèrent des scintillements.
– Jacquemin, dit-il alors, mes habits de voyage. Mon manteau. Ma longue rapière. Les chevaux. Et vite !
– Nous partons ? fit le valet avec une familiarité naïve mais non exempte de respect. Et où allons-nous, cette fois ?
– Au diable !…
– Monsieur, je vous crois. Mais par quel chemin ?
– Ne t’en inquiète pas, dit don Juan. Nous serons conduits par un ange !
VIII
D’ULLOA MARCHE À SON DESTIN
Nous avons laissé se développer normalement l’action qui se déroulait à Séville, afin de l’amener en conjonction avec d’autres actions convergentes, qui nous conduiront au carrefour où diverses destinées vont se heurter.
Nous pouvons maintenant, nous devons laisser Léonor d’Ulloa, serrée de près par Juan Tenorio, s’élancer vers la France, où, bientôt, nous allons la retrouver.
Nous devons, d’un trait rapide, indiquer la marche du Commandeur d’Ulloa vers le destin qui, de loin, le guettait, l’appelait, l’attirait.
Le 10 novembre 1539, Charles-Quint franchit la Bidassoa pour entreprendre cette extraordinaire traversée du royaume, qui sous les yeux du peuple ruiné par les guerres, ne fut qu’une suite d’étincelantes parades et de fêtes que les chroniqueurs du temps nous décrivent avec admiration.
De ce voyage, nous ne retiendrons que ce qui est relatif au Commandeur d’Ulloa, et c’est à ses notes que nous demandons les précisions nécessaires à notre récit.
Trois brefs extraits vont y suffire.
Nous leur laissons leur simplicité qui, lorsqu’on sait de quel drame l’hôtel d’Arronces devait être le théâtre, ce qu’avait été Agnès de Sennecour et quel était le personnage sauvé par d’Ulloa, près de Brantôme, s’illumine de reflets tragiques.
Voici ces extraits :
DE LA 29 e NOTE :
Au 24 e de novembre. -… Je doute qu’il y ait au monde pays plus riche et plus somptueux en son hospitalité. Ce jour, M. le connétable m’est venu voir et m’a remis des lettres patentes apportées par un messager du roi et par lesquelles ce généreux monarque me fait don et abandon perpétuel d’un logis et ses dépendances faisant partie du domaine royal privé, lequel logis, dénommé hôtel d’Arronces, est sis à Paris, proche le château du Temple.
Voyant combien j’étais touché par cette marque de la royale bienveillance, M. le duc de Montmorency m’a supplié d’user de mon crédit pour faire entendre raison à Sa Majesté l’empereur en ce qui concerne le duché de Milan. Je le lui ai promis, car la demande du roi de France est juste, et l’empereur se doit à lui-même de tenir son engagement au sujet du Milanais.
Sur quoi le connétable m’a serré dans ses bras et s’est mis à me dépeindre l’hôtel d’Arronces, qui est un riche logis autrefois bâti par Louis le douzième. Et il m’a conté que le roi François, voici vingt ans passés, avait donné ce domaine à la demoiselle Agnès de Sennecour qu’il aimait grandement. Mais cette noble dame étant morte sans postérité ni parenté aucune, l’hôtel d’Arronces a ainsi fait retour au roi, qui en dispose maintenant en ma faveur.
Peut-être la vieillesse me fait-elle l’esprit
Weitere Kostenlose Bücher