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Don Juan

Don Juan

Titel: Don Juan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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de ma parole à ces messieurs expire demain à midi. Messire, prêtez-moi vingt mille livres…
    – C’est impossible, dit Turquand.
    Loraydan était blême. Ses yeux devinrent vitreux. Mais sa voix continua d’être ferme :
    – Tous les usuriers de Paris m’ont fermé leurs portes. Je n’ai pas un écu. Demain, à midi, je serai un homme déshonoré et je me tuerai. Messire, prêtez-moi quinze mille livres…
    – C’est impossible, dit Turquand.
    Loraydan se sentit chanceler. Un peu de mousse parut au coin de ses lèvres. Il râla :
    – Messire Turquand, vous m’assassinez. C’est sur vous que retombera mon sang.
    Turquand se pencha sur Loraydan, et, avec un sourire contraint, la figure bouleversée d’inquiétude comme s’il eût été, lui, le solliciteur :
    – Seigneur comte, dit-il lentement, accordez-moi ce que, par deux fois déjà, je vous ai demandé, oui, accordez-moi cette immense faveur, et je vous laisse, à pleines mains, puiser dans mes coffres…
    – Que m’avez-vous demandé ? fit le grand seigneur en essuyant son front ruisselant. Ah ! j’y suis : d’épouser votre fille !… C’est trop cher, messire, l’usure est un peu forte. J’aime mieux périr de cette main que voici, d’un bon coup de dague au cœur, que de lentement mourir sous les rires. On voit bien que vous ne connaissez pas le Louvre, et l’accueil qu’on y ferait au gentilhomme qui aurait vendu son nom. Messire, on emprunte sur ses terres ou ses meubles, on n’emprunte pas sur son blason… Loraydan ne peut épouser la fille d’un usurier !
    Turquand se redressa, un peu pâle, et, avec une tranquille fierté :
    – La fille d’un maître ciseleur réputé dans Paris !… Monsieur le comte, quand, il y a quatre ans, vous m’appelâtes pour la première fois, j’acceptai sans la discuter l’estimation que vous fîtes de votre hôtel et ses meubles : trois cent mille livres. Or qu’étiez-vous pour moi ? Une espérance : je rêvais ma fille comtesse, je l’imaginais au rang que lui assignent son esprit et son cœur. Ce rêve, seigneur, vous le brisez…
    – Oui ! fit le comte d’un accent de dédain qui atteignait au mépris. N’espérez jamais cela !
    – Je n’espère plus !… Que devenez-vous, dès lors ? Comme MM. de Maugency, d’Essé, de Sansac, et autres : un emprunteur. En sommes diverses, je vous ai remis quatre cent mille livres…
    – Quatre cent mille ! gronda Loraydan avec une intention d’insulte. Comment ? Je veux savoir !
    Turquand frappa sur un timbre. Une jeune fille se montra dans l’encadrement d’une porte.
    – Au fond de mon bénitier, tu trouveras la clef de mon tiroir secret, dit le ciseleur d’un ton bref. Dans le tiroir, il y a un cahier relié. Apporte-le-moi à l’instant. – Votre Seigneurie en croira du moins ses nobles signatures !
    Deux minutes de silence, – et la jeune fille reparut, s’avança vers la table près de laquelle étaient assis les deux hommes. Le comte de Loraydan, alors, leva la tête, et la vit.
    Il la vit !…
    Et il lui parut qu’un événement énorme venait de s’accomplir, et que le monde, soudain, prenait sa vraie signification ; sa situation désespérée, sa dette écrasante, sa résolution de suicide ne lui furent plus que ces images futiles et fuyantes ; la réalité de l’univers se concrétisa en cette apparition adorablement blonde où le bleu profond des yeux mettait des reflets de ciel matinal… il se leva, interdit, se courba, sans savoir ce qu’il faisait, s’inclina comme on adore… Messire Turquand tressaillit violemment, – et d’une voix qui tremblait un peu, présenta :
    – Ma fille Bérengère…

X
 
AMAURI ET BÉRENGÈRE
    L’histoire de Bérengère tient dans ces mots : depuis six mois, elle aime Amauri de Loraydan… Un jour que le roi est passé rue du Temple avec sa brillante cavalcade, elle a vu le comte. Et cela a suffi. Deux fois, depuis, le hasard le lui a montré. Elle l’aime en secret, sachant la distance qui la sépare de ce puissant seigneur. Et rendons cette justice à Turquand, que jamais, devant sa fille, il n’a prononcé le nom de Loraydan. Elle aime donc sans le dire. Ce qu’il en adviendra, elle ne cherche pas à le prévoir. C’est simplement, au fond de son cœur, une imprécise attente. Elle aime, voilà tout.
    Instantané avait été cet amour très pur… instantanée a été la passion du comte.
    Le premier regard a tout fait. Comment ?

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