Don Juan
l’appartement de Léonor d’Ulloa…
– Puis-je compter sur toi ? demanda-t-il.
– Halte ! fit Bel-Argent. N’allez pas plus loin. Je vois où le bât vous blesse. J’ai voulu vous tuer, et je vous dirai pourquoi et comment. Pour me punir, vous m’avez pris à votre service, et en quelques jours vous avez fait de moi un homme. Ma vie vous appartient. Quand je me donne, c’est pour longtemps, autant dire toujours. Quant au courage, de Périgueux à Angoulême, vous ne trouveriez pas un damné ruffian de grand chemin qui ne soit prêt à jurer par les cornes de notre Saint-Père que Bel-Argent ne craint ni dieu ni diable. Allez en paix. Ce sera ici ma revanche de la Grâce de Dieu. Celui qui voudra arriver à cette noble dame qui est plus belle encore que la propre fille du bedeau de Brantôme, laquelle devait m’épouser, celui-là, vous pouvez m’en croire, devra d’abord me manger tout cru, et il lui faudra pour cela boire plus d’une dame-jeanne de vernat.
Clother vit que Bel-Argent était sincère et résolu.
Il descendit, rassuré.
Comme il arrivait dans la grande salle, il vit don Juan qui sortait, tout empressé, de la Devinière. À son tour, il franchit la porte de la célèbre auberge, et se mit à descendre la rue Saint-Denis.
La matinée était claire et froide. Les cloches sonnaient à toute volée, le canon grondait. Et il paraît qu’on usa pas mal de poudre en ce matin du I er janvier 1540, où l’empereur Charles-Quint fit son entrée dans Paris, car, selon ce brave Félibien qui nous décrit cette entrée avec un grand luxe de détails, on ne tira pas moins de huit cents coups de canon.
Du bruit ! Du bruit ! Il faut, coûte que coûte, beaucoup de bruit sur le passage de ceux qu’on appelle les grands de la terre.
Souvent, il n’y a que du bruit…
La rue s’encombrait de groupes endimanchés, joyeux sans trop savoir de quoi, simplement joyeux, peut-être, à cause du tumulte des cloches et du vacarme de l’artillerie. Et puis, Paris était curieux de voir enfin cet empereur qui faisait une si rude guerre au roi François. Avec son infaillible bon sens, Paris s’étonnait que le plus cruel ennemi du royaume eût eu permission de traverser la terre française. Mais Paris est hospitalier, et magnanime dans son hospitalité. Il se promettait donc de faire bon visage à cet ennemi devenu son hôte, ne fût-ce que pour lui bien montrer qu’on n’avait pas peur de lui. Au total, les Parisiens étaient contents comme ils le sont toujours à toute occasion de descendre dans la rue – fête ou bataille.
Don Juan ne s’occupait guère de cette foule.
En sortant de la Devinière, il alla tout droit au logis de dame Jérôme Dimanche.
La bonne veuve, ayant loué les deux étages et la mansarde de la maison, habitait avec sa fille le rez-de-chaussée composé d’une belle entrée sur rue, d’un parloir des plus convenables et plusieurs chambres.
Clother de Ponthus aperçut don Juan qui entrait chez dame Dimanche avec autant de décision et de précipitation que s’il se fût agi d’une entreprise extrêmement urgente.
– Oh ! songea Clother, aurait-il donc l’audace… mais je mettrai dame Dimanche en garde.
Il passa outre, salué respectueusement par le digne Jacquemin Corentin qui attendait son maître et, stoïquement, accueillait de bonne grâce les quolibets dont les gens, au passage, gratifiaient son nez.
– Voilà, murmura Jacquemin, voilà le maître qu’il m’eût fallu pour le repos de mon âme. Tandis que ce vrai gentilhomme est échu à ce misérable Bel-Argent, – un truand que, par quelque matin brumeux, je verrai pendre à la croix du Trahoir. Ainsi va le monde, et la vertu n’est guère récompensée.
Ponthus était loin déjà, et s’en allait où allait la foule… une heure se passa.
Dans le parloir, don Juan achevait d’éblouir la veuve, et si Jacquemin Corentin, à ce moment, fût entré dans le logis de dame Dimanche, voici ce qu’il eût entendu :
– Mon Dieu, bégayait la veuve extasiée, que dire de cela ? qui l’eût jamais cru ? Ma petite Denise épouser un si riche et si puissant seigneur !
– Pas plus tard que demain ! répondait don Juan. Je l’aime, je la veux. Elle sera comtesse, duchesse, tout ce qu’elle voudra :
– Et riche ! s’écria la veuve dont les yeux pétillèrent.
– Riche ? Elle ne saura que faire de ses richesses, à moins qu’elle ne vous en cède une bonne part que vous
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