Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
meuskeurreum , date qui correspond à un jour variable de notre mois de septembre. Les circonstances où nous nous trouvions rendaient doublement opportune la grande revue que les chefs importants ont coutume de passer à cette époque.
Il est d'usage qu'à la Maskal les vassaux fassent défiler leurs soldats sous les yeux du seigneur auquel ils doivent le service militaire. Ils mettent de l'émulation à paraître avec le plus de monde et le meilleur équipement possible, afin de lui prouver que, loin de thésauriser, ils emploient leurs revenus à entretenir des soldats. Souvent ils font figurer des passe-volants, ou soldats d'emprunt, rappelant ainsi les supercheries analogues pratiquées par les barons européens au moyen âge.
Le Dedjazmatch, en habit de gala, s'établit en dehors du camp sur un tertre, où l'attendait un alga; son servant d'armes, le palefrenier qui tenait son cheval, deux huissiers, une quinzaine de pages et moi formions seuls son entourage, tous ceux qui l'accompagnaient habituellement s'apprêtant à figurer dans la revue. Ymer Sahalou, chef de notre avant-garde, parut le premier sur le terrain, précédé de ses trompettes et joueurs de flûte et de tambourin. Ses troupes étaient sans toge, en tenue de combat; chaque soldat portait, au lieu de javeline, soit une perche écorcée ayant au haut bout une fleur ou un bouquet de verdure, soit une longue et mince fascine composée de ramilles ou de tiges inflammables. Après avoir défilé devant le Dedjazmatch, ils formèrent en faisceau, en face de lui, leurs perches et fascines; ils en firent une fois le tour au pas de course et vinrent se ranger sur la droite de notre tertre. Birro Guoscho passa ensuite à la tête de ses gens, parmi lesquels figurait son nouveau vassal, le Dedjadj Baria; ils tournèrent également autour du faisceau, chaque homme y jetant sa perche ou sa fascine, et ils allèrent se ranger à distance. Hauts dignitaires, seigneurs, chefs de bande, tous les corps de l'armée défilèrent à leur tour, et chacun ayant répété la même manœuvre se rangea de façon à former un cercle immense autour du faisceau, qui avait atteint les proportions d'une grande pyramide. Un prêtre l'ayant béni, on y mit le feu. Les soldats poussèrent de grands cris et les fusiliers firent des décharges, trompettes, timbaliers, joueurs de flûte et de tambourin s'évertuant à accroître le vacarme. Une ronde désordonnée de fantassins et de cavaliers se forma autour du vaste bûcher, tantôt disparaissant dans les nuages de fumée, tantôt se profilant sur les flammes: c'était des soldats qui, dans l'espoir de se rendre l'année propice, couraient trois fois autour du bûcher de la Maskal, rappelant ainsi les péridromes de l'antiquité.
Le Prince monta à cheval et rentra au camp pour le festin.
Plusieurs tentes dressées d'enfilade suffisaient à peine à contenir dans leur longueur son alga et plusieurs tables basses, d'environ un mètre de large, réunies bout à bout. Deux rangées de galettes de pain, artistement empilées le long des deux bords de cette table, laissaient au milieu comme une ruelle d'une coudée de profondeur, prête à recevoir de distance en distance les plats et les terrines.
Le Prince prit place sur son alga, derrière lequel son servant d'armes, appuyé sur la javeline, tenait haut le bouclier de son maître; ses commensaux, brassard d'honneur au poignet et sabre au côté, se rangèrent debout autour de lui. Le page porte-aiguière s'avança et les Enjerras Assallafis (panetiers), les épaules et les bras nus, s'étant soigneusement lavé les mains 18 , s'échelonnèrent des deux côtés de la table et se tinrent debout, les coudes au corps et les avants-bras ouverts. Les huissiers se postèrent aux issues, et chef d'avant-garde, sénéchaux, tous les principaux seigneurs vinrent se placer selon leur naissance et leur rang. Une deuxième file de convives s'assirent de façon à pouvoir encore atteindre la table en allongeant le bras, et derrière, les cavaliers de marque, les fantassins et fusiliers d'élite se tassèrent debout, en rangs pressés et si nombreux qu'ils soulevaient les parois des tentes. Les trompettes de l'Azzage ou biarque annoncèrent son arrivée; la portière fut relevée et l'Azzage Fanta, revêtu des insignes de sa charge, parut sur la place, conduisant les employés de la bouche. Des hommes tenant sur la tête des paniers de pains de première qualité, recouverts de housses
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