Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
température assez douce dont la moyenne est de 20° centigrades.
En arrivant en pays étranger, le voyageur est tout d'abord impressionné par la nouveauté des choses extérieures. Malgré leur vivacité, ces sensations s'atténuent d'ordinaire et s'effacent peu à peu, surtout s'il séjourne et pratique lui-même les mœurs nouvelles; et c'est en fixant et en coordonnant ces premières impressions avec les observations qu'il aura faites dans la suite, qu'il arrivera à déterminer le mieux la véritable physionomie du peuple qu'il étudie. Les allures de la population gondarienne saisissent de prime abord par leur caractère biblique; elle apparaît ce qu'elle est en réalité: impressionnable, hasardeuse, nonchalante, vaniteuse, légère parfois, factieuse, pleine d'humour, et presque toujours avenante et charitable.
Le matin, elle est réveillée par les chants religieux; dans chaque église, il ne se dit qu'une messe; elle est chantée et commence bien avant le jour. Dès cette heure, les affligés et les dévots courent à l'office; les autres n'y vont qu'au moment de la consécration: au soleil levant. Les jours de fête, les fidèles visitent plusieurs églises, surtout celle de Saint Tekla-Haïmanote, qui possède les reliques vénérées de ce saint.
L'horizon s'éclaire à peine, que tous, aux portes, dans les rues et aux carrefours, échangent le salut du matin. Les travaux et les affaires commencent partout; les voyageurs, les soldats de passage se mettent en route; les pâtureurs, au pied des collines, réunissent les vaches, les veaux et les bêtes de somme qu'on voit dévaler dans toutes les directions; des femmes et des jeunes filles, munies d'amphores, descendent ça et là, en babillant, puiser de l'eau au Kaha et à l'Angareb, où sont déjà établis des hommes à demi-nus, lavant leurs toges et celles de leur famille, en les piétinant dans l'eau. Sur la place du marché, les acheteurs assiégent l'étal des bouchers, les chiens se hargnent autour, au-dessus plane une volée d'éperviers guettant l'occasion de happer quelque lambeau de viande; des enfants, encore engourdis de sommeil, se rendent à l'école; les oisifs, les nouvellistes de profession, groupés aux carrefours, épluchent déjà les nouvelles, brocardent les passants ou bien confèrent d'un air de mystère, selon que les temps leur paraissent calmes ou difficiles.
Bientôt, le soleil devient incommode; chacun rentre chez soi pour la grande affaire du déjeuner, et Gondar redevient silencieuse jusqu'à deux ou trois heures de l'après-midi.
Les Éthiopiens observent plusieurs jeûnes longs et rigoureux, indépendamment de celui du mercredi et du vendredi. En temps de jeûne, les offices ne commencent pas avant deux ou trois heures de l'après-midi, et les habitants attendent, pour faire l'unique repas de la journée, que les carillons aient annoncé la communion.
Ne connaissant ni sablier, ni clepsydre, ni horloge d'aucune sorte, ils divisent la journée en six parties qui ont leurs dénominations consacrées, d'après la hauteur du soleil sur l'horizon. Le clergé et les hommes instruits usent d'une chronométrie un peu moins grossière: le dos au soleil, ils mesurent, par semelles et demi-semelles, la longueur de leur ombre. La durée quotidienne de chacun de leurs jeûnes équivaut à tel nombre de semelles et demi-semelles; quelques-uns se prolongent jusque peu avant le coucher du soleil.
Pendant les longues matinées du mercredi et du vendredi, Gondar présente sa physionomie la plus animée. Les églises restent ouvertes: on y voit, au milieu de désœuvrés et de chercheurs d'aventures, des vieillards, des femmes, des soldats et des clercs faisant leurs méditations, leurs prières ou causant paisiblement à l'ombre des arbres du pourtour. Vers huit heures, les habitants se portent aux divers plaids de l'Atsé, de l'Itchagué, de l'Aboune, du Négadras, du Kantiba ou des prudhommes: les délibérations de quelque importance et les procès étant remis de préférence à ces jours. Comme les maisons n'offrent que très-peu de salles spacieuses, la plupart du temps, ces plaids se tiennent en plein air; l'été, juges et assistants sont ordinairement munis de parasols. Ceux que les incidents judiciaires intéressent moins, vont badauder chez les ouvriers en réputation, où se réunissent quelques nouvellistes, des soldats et des étrangers. Les réunions choisies se tiennent chez l'orfèvre, le sellier et quelquefois
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