Douze
suis sûre que tu y as contribué un peu. (Son ton était extrêmement paternaliste.) Ton ami Iouda est-il encore à Moscou à s’occuper des Français ?
— Non, il est mort.
— Tu n’as pas l’air très désolé. Que lui est-il arrivé ?
De nouveau, j’aurais dû parler, mais je me dérobai encore.
— Le même incendie qui a blessé Dimitri. Iouda n’a pas eu autant de chance.
Le fait que Dimitri ait quitté l’hôpital signifiait que je pouvais moi aussi rechercher un meilleur logement. J’eus la chance de me trouver une chambre d’une taille décente à un prix raisonnable et ainsi j’eus, enfin, l’intimité que je désirais. Se voir raconter, en auditeur consentant, par une actrice convaincante que l’on est le meilleur amant au monde est une expérience très agréable. Mais une fois que le masque de l’actrice est tombé, il ne peut jamais être de nouveau utilisé de façon crédible. Connaître la vérité, le fait que l’on peut améliorer sa technique amoureuse, n’est pas aussi agréable que l’illusion de la perfection, mais c’est plus plaisant qu’une illusion qui explose. Et il y a toujours le plaisir de savoir qu’une pratique régulière amène des progrès.
Lorsque je prenais conscience qu’il n’y aurait bientôt aucun moyen d’éviter de revenir à Moscou, je me rendis compte aussi qu’un jour je devrais probablement faire face aux cinq Opritchniki restants : Piotr, Andreï, Iakov Zevedaïinitch, Filipp et Foma. Je savais qu’ils pouvaient être tués par le feu. Du moins, je le croyais ; je n’avais aucune preuve tangible de la mort de Iouda et Ioann. J’étais sûr qu’ils pouvaient être tués en leur perçant le cœur avec un pieu en bois, et c’était la méthode qui me laissait le plus de contrôle. Je commençai à me tailler une solide dague de bois — presque une petite épée — que je pouvais manipuler avec la même dextérité qu’un sabre et donc qui me permettrait, par une feinte agile, de me débarrasser aussi bien d’un vampire que d’un homme.
Un après-midi, tandis que j’étais assis sur mon lit, travaillant à ma nouvelle arme, Domnikiia pénétra dans ma chambre.
Après m’avoir salué, elle m’interrogea à propos de l’épée.
— Est-ce pour ton fils ?
Elle ressemblait beaucoup à une épée en bois que j’avais fabriquée pour Dimitri Alekseevich quelques années auparavant, et que j’avais vue à ses côtés dans mon rêve, mais celle-ci avait des fins bien plus meurtrières. Je sus alors, comme je l’avais toujours su, qu’il était de mon devoir de raconter à Domnikiia ce que j’avais découvert. Notre relation pouvait la mettre en danger, et elle méritait au moins d’être avisée de la nature de ce danger.
— Non, ce n’est pas pour lui, répondis-je.
Je posai l’épée et m’allongeai sur le lit. Elle s’étendit près de moi et mit sa tête sur ma poitrine. Je fixais la petite fenêtre au-dessus de nous tout en lui racontant, essayant de dissimuler la terreur dans mon cœur tandis que je parlais.
— Tu te souviens des Opritchniki ?
— Bien sûr, dit-elle. J’ai rencontré Iouda, tu te souviens ?
Je hochai la tête, marquant une pause pour me donner le temps de réfléchir à la meilleure manière de lui raconter ce que je savais. Il me fallait être direct.
— Sais-tu ce qu’est un voordalak ? demandai-je.
Elle me regarda. Son expression trahit une légère surprise face au tour qu’avait pris la conversation. Puis son regard se posa sur l’épée de bois, et revint sur moi. Son visage se métamorphosa. Elle comprenait, mais n’y croyait pas.
— Tu ne devrais pas plaisanter à ce sujet, dit-elle.
— Tu ne crois pas aux vampires ?
Elle se leva.
— Oh, moi , je crois aux vampires, Liocha, dit-elle, une pointe de colère dans la voix. Mais toi , non, j’en suis presque sûre. Ce n’est pas drôle d’être taquinée ainsi parce que je ne suis pas aussi intelligente que...
Je l’interrompis.
— Je n’y croyais pas, dis-je.
— Quoi ?
— Je n’y croyais pas, avant. Maintenant, j’y crois.
Elle sourit un peu.
— Eh bien, voilà une petite victoire pour l’esprit paysan. (Puis elle secoua la tête.) Mais ils ne peuvent pas en être. Pourquoi penses-tu qu’ils le sont ?
— Tu vois, dis-je. Tu as des doutes.
— Je suppose. Je ne sais pas. Simplement parce qu’on croit à quelque chose, cela ne signifie pas pour autant qu’on pense le voir un jour. Comment le sais-tu
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