Douze
retenue. C’est une amie.
— Vraiment ? Une amie ? (Le concept semblait nouveau pour lui.) Eh bien, dans ce cas, vous la trouverez à l’hôpital qui jouxte l’église de Saint-Nicolas. C’est une des infirmières.
— Une infirmière ?
— Elles le sont toutes. Il y a beaucoup de soldats malades en ville.
Je me dirigeai vers l’hôpital. Il n’était pas grand, constitué seulement de deux longues pièces formant un L, comportant chacune une vingtaine de lits. Je regardai dans la première et j’y reconnus instantanément Domnikiia, penchée sur un lit à l’extrémité la plus éloignée de la pièce. J’attendis, la main sur le chambranle de la porte tandis que j’essayais d’avoir l’air détendu. En fait, je l’agrippais pour me soutenir.
Elle se releva et commença à s’approcher du suivant. Elle regarda dans ma direction. Elle était trop loin pour établir un contact visuel mais, lorsque ses yeux tombèrent sur moi, ses pas faiblirent légèrement, comme si elle venait de se tordre la cheville. Elle récupéra instantanément et ne marcha que jusqu’au lit suivant. Elle se pencha sur le patient, lui parla et redressa son oreiller. Puis elle se déplaça vers le patient suivant, et après cela le suivant, et encore un autre après. Tandis qu’elle approchait, elle ne me regarda jamais directement. Bien qu’elle déambule de façon si désespérément lente, la force de son approche me donnait l’impression qu’un étalon au grand galop me chargeait. Un sentiment terrible d’anticipation montait en moi à mesure qu’elle se rapprochait. Je ne pouvais pas m’éloigner, et pourtant, la perspective qu’elle m’atteindrait finalement me remplissait d’une sensation d’impact imminent.
Enfin, ayant accompli son devoir auprès de chacun des vingt hommes de la salle, elle arriva près de la porte. Elle leva sur moi ses magnifiques yeux bridés et sourit de son sourire professionnel, qui lui était aussi utile dans son activité actuelle que dans la précédente.
— Bonjour, Alexeï Ivanovitch, dit-elle, ne trahissant pas la moindre émotion. (Je me contentai de sourire en réponse.) Viens avec moi dehors un instant, poursuivit-elle.
Elle ouvrit le chemin vers une cour calme. Je sentis mon cœur battre férocement dans ma poitrine, implorant d’être libéré. Elle se retourna et posa les mains sur ma tête, m’attirant vers ses lèvres. Nous nous embrassâmes ardemment, mais aussi brièvement, avant qu’elle s’écarte et qu’elle pose ses lèvres d’abord sur mon front, puis sur mes sourcils, mes yeux, mes joues, puis mes oreilles, mon menton, mon cou, mes mains, mes paumes et mes doigts. J’étais passif et consentant pendant que ses lèvres marquaient chaque parcelle de mon corps comme son territoire. Enfin, elle leva ma main gauche vers ses lèvres et embrassa la minuscule surface de peau entre mon majeur et ce qui restait de mon annulaire. Puis elle s’appuya contre ma poitrine, non pas en m’embrassant mais en tenant ses bras devant elle, repliés entre nous. Désormais, elle offrait une certaine passivité, et je la serrai contre moi de toutes mes forces.
— J’ai eu peur que tu sois mort, Liocha.
— Pourquoi croirais-tu cela ?
— Je ne l’ai pas cru, juste craint.
— Je t’ai regardée partir de Moscou, lui dis-je. Tôt ce matin-là.
— Bien. (Elle me sourit.) Je ne t’ai pas vu.
— Je suis un professionnel, répondis-je.
Nous nous mîmes à marcher, main dans la main, les doigts entrelacés.
— Pourquoi as-tu quitté Moscou aussi vite ? demanda-t-elle.
— Dimitri a été gravement brûlé dans les incendies. Je l’ai amené ici.
— Tu aurais dû le laisser brûler. (Elle changea d’avis, presque sans la moindre interruption.) Je suis désolée, c’est ton ami, il t’est assez cher pour que tu l’amènes ici.
— Il ne l’était plus pendant un temps, mais je pense que nous avons dépassé ce stade maintenant.
— Pourquoi ne l’étiez-vous plus ? À cause de Max ?
— Et de toi.
— Alors pourquoi êtes-vous venus ici, à Iouriev-Polski ?
— Dimitri me l’a suggéré. Je n’étais pas très motivé, dis-je avec un sourire en coin.
Elle serra son petit poing et me frappa dans les côtes.
— Et ton autre ami, Vadim, est-il également ici ?
— Non. Pour autant que nous sachions, il est toujours à Moscou. J’espère qu’il va nous rejoindre.
Cela sonnait creux, même pour moi.
Les quelques semaines qui suivirent, notre
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