Douze
unique naquit moins de dix mois après notre mariage, ce fut Marfa qui suggéra de le nommer Dimitri, d’après l’homme qui m’avait sauvé la vie.
Au cours des quelques années qui suivirent, nous quatre nous retrouvâmes souvent, mais nous n’avions pas combattu ensemble depuis longtemps. Dimitri et moi affrontâmes les Turcs sur le Danube (où il faisait chaud), mais séparément. Vadim était en Finlande (où il faisait froid). Je ne sus jamais exactement ce que fit Max.
En 1812, nous nous étions tous préparés à combattre une nouvelle fois Bonaparte. J’avais acquis le droit héréditaire d’être appelé «Votre Haute Noblesse », mais je préférais de loin l’adresse militaire de « capitaine ». J’étais stationné dans l’ouest de la Russie, en tant qu’élément de la première armée, sous le commandement du général Barclay de Tolly, le long de la frontière avec le grand-duché de Varsovie. À ma grande joie, Dimitri et Max étaient tous deux également là. Bonaparte choisit d’interpréter notre présence comme une menace et, par conséquent, déversa ses troupes dans le duché. Alexandre I er avait exigé que Bonaparte retire ses troupes en deçà du Rhin. Il ne s’attendait pas vraiment que les Français se plient à ses exigences et, de fait, rien ne se concrétisa dans ce sens.
Le 12 juin, Bonaparte traversa le Niémen. Ce faisant, il franchit également le Rubicon – les troupes françaises étaient désormais en terre russe et Alexandre I er jura qu’il ne daignerait communiquer avec Bonaparte avant leur retrait. Mais le retrait ne faisait pas partie de la stratégie de Bonaparte ; pas à cette époque, en tout cas. Quatre jours plus tard, il était à Vilna et, dans les jours et semaines qui suivirent, les villes tombèrent, les unes après les autres sur la longue route menant à Moscou, sous son joug.
Après avoir pris Vilna, il y eut une crainte générale qu’il puisse s’avérer impossible à arrêter, et toutes sortes de projets non conventionnels virent le jour pour trouver un moyen de le vaincre. Vadim porta volontaire notre groupe ainsi que sa personne et c’est ainsi que la vieille équipe fut reconstituée, même si nous n’accomplîmes pas grand-chose jusqu’à notre défaite à Smolensk. Barclay de Tolly nous fit alors appeler, ainsi qu’un certain nombre d’autres petits groupes similaires. Il savait qu’il allait être sous peu remplacé, au poste de commandant en chef, par le général Koutouzov et que ce dernier choisirait de tenir une position avant que les Français atteignent Moscou. Barclay expliqua ce qu’avait été son plan – très différent de celui de Koutouzov, mais un plan qui, comme le temps viendrait à le prouver, aurait été approprié. L’allure des deux hommes était aussi distincte que leurs tactiques. Barclay avait seize ans de moins que Koutouzov, mais cela seul ne pouvait justifier leurs disparités physiques. Il était mince, ses yeux et son sourire révélaient sa sagesse mais cachaient sa ruse. Son crâne chauve lui conférait une apparence de maturité. Habituellement, son discours était clair et direct mais, là, sa façon de décrire son plan semblait presque se moquer du style précieux de Koutouzov.
—Avez-vous déjà vu des enfants jouer sur la plage ? nous avait demandé Barclay. (Son accent ne révélait en rien ses origines écossaises, mais indiquait son éducation germanophone.) Ils peuvent faire face à la plus haute vague sans crainte, même si elle fait dix fois leur taille. Comment ? Ils remontent tout simplement sur la plage. Ils se retirent à la même vitesse que les vagues. À chacun de leurs pas, la vague les suit et devient plus faible. S’ils demeurent sur leur position, ils découvriront que la vague est beaucoup trop puissante pour eux et qu’elle les noiera. Mais s’ils remontent calmement sur la plage, la vague devient plus faible et plus petite, jusqu’à pouvoir à peine leur chatouiller les orteils. La France est une grande vague, messieurs, mais la Russie est une très grande plage.
» Notre plan est donc de ne rien faire. Les Français vont découvrir qu’ils ont déjà bien assez de mal pour se nourrir, sans que nous ayons à sacrifier de vies russes dans une tentative de les faire partir. Mais le général Koutouzov me dit que, si l’inaction est un bon plan, l’action doit être une meilleure idée encore. Il a l’intention de faire face à Bonaparte en confrontation
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