Douze
adressée à mon nom. Lis-la. Elle est davantage pour toi que pour moi, de toute façon.
J’ouvris la lettre et la lus silencieusement.
«Mademoiselle Dominique* ,
Comme je suis sûr que vous l’avez entendu de notre ami mutuel Alexeï Ivanovitch, notre mission dans votre pays ne s’est pas déroulée suivant les plans établis initialement. C’est à mon plus grand regret que cela a conduit à de profondes incompréhensions entre moi-même et Alexeï Ivanovitch, dans lesquelles je dois immédiatement reconnaître ma part de responsabilité. Malheureusement, les choses sont parvenues à un tel état entre nous qu’il nous est maintenant impossible de nous adresser ne serait-ce que la plus simple des demandes et, comme je suis certain que vous le comprendrez aisément, cela n’offre aucune base sur laquelle nous pourrions facilement trouver un remède à la situation.
Je vous supplie donc, mademoiselle Dominique*, en tant qu’amie proche d’Alexeï Ivanovitch (et, j’ose m’en flatter, de moi-même) d’agir en tant qu’intermédiaire, que vous puissiez aider à guérir ce fossé de mélancolie entre deux camarades auparavant cordiaux et s’appréciant. Si vous désiriez nous aider dans cette affaire, ma modeste requête est que vous transmettiez à Alexeï Ivanovitch mon souhait de le rencontrer à 19 heures, au soir du vingt-huitième jour d’octobre, à la croisée des chemins au sud du village de Kourilovo. Il connaîtra mieux ce lieu, peut-être, sous l’appellation Г 4, bien que je ne souhaite pas vous ennuyer avec les détails expliquant pourquoi il est ainsi désigné.
Je vous prie d’exprimer à Alexeï Ivanovitch la totale sincérité de mon souhait de le rencontrer et mon espoir le plus cher qu’en quelques minutes de conversation nous puissions résoudre toute confusion ayant pu conduire à l’affligeant désaccord qui existe maintenant entre nous. Si Alexeï Ivanovitch ne peut-être présent ou choisit de ne pas se rendre au rendez-vous, assurez-le de mon éternel dévouement tant envers lui qu’envers son pays, et je vous prie également, mademoiselle Dominique*, d’apprécier l’affection sincère que j’ai personnellement envers vous.
Votre ami dévoué,
Iouda. »
— Il se répand littéralement en compliments, dis-je avec mépris.
— Je trouve cela agréable qu’il fasse cet effort.
— Tu plaisantes, n’est-ce pas ?
Elle posa le menton sur mon épaule et je sentis ses bras autour de ma taille.
— Oui, Alexeï Ivanovitch, je plaisante.
— Je veux dire, tu ne l’as rencontré qu’une seule fois, et cela n’a duré que cinq minutes.
— Absolument, dit-elle d’une voix sincère. Et de surcroît, bien sûr, c’est un vampire.
— Seriez-vous en train de me taquiner, mademoiselle Dominique * ?
— Eh bien, tu ressembles à un mari jaloux en train de parcourir ma correspondance.
— Quand as-tu reçu cela ? demandai-je.
— Je te l’ai dit, ce matin, quand Polia s’est levée.
— À quelle heure était-ce ?
— Environ 10 heures. Nous travaillons tard ici.
— Et quand avez-vous fermé la nuit dernière ?
— À 2 heures environ.
— Donc cela aurait pu arriver à n’importe quelle heure entre 2 heures et 10 heures ?
— Oui, répondit-elle en soulignant sa patience. Est-ce important ?
C’était très important. Si Iouda l’avait livrée avant notre rencontre de la nuit précédente, cela laissait la porte ouverte à un certain nombre de possibilités. Nos retrouvailles cette nuit avaient pu n’être pas aussi préméditées qu’il l’avait semblé, du moins vis-à-vis de Iouda, ou il était possible qu’il s’était tout du long attendu à ce que je prenne la fuite. Une troisième possibilité était que la lettre ne m’était pas du tout destinée, mais qu’elle était uniquement à l’intention de Domnikiia à qui elle avait, après tout, été adressée. Était-ce pour la persuader de se présenter au rendez-vous à ma place ? Cela semblait peu probable.
Était-elle destinée à donner à Iouda un vernis d’innocence aux yeux de Domnikiia, une fois ma mort découverte ? C’était plus plausible.
D’un autre côté, si la lettre avait été apportée ce matin, après que je l’ai vu, cela aurait plus de sens, mais comme Iouda était incapable de se déplacer à la lumière du jour, il avait dû bénéficier d’une aide humaine. Était-ce un coursier qu’il avait simplement embauché pour quelques kopecks, ou avait-il des
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