Douze
serviteurs humains d’une nature plus dévouée ? Le suspect évident aurait été Dimitri, mais celui-ci avait été avec moi tout ce temps.
— Vas-tu te rendre à cette rencontre ? demanda-t-elle.
— Je pense.
— N’est-ce pas dangereux ?
— Dimitri sera avec moi.
— Tu veux dire que Dimitri est à Moscou ? Je croyais qu’il avait rejoint l’armée.
— Non, il avait d’autres choses à faire.
— As-tu confiance en lui ?
— Maintenant oui.
— Tu veux dire que ce n’était pas le cas auparavant ? demanda-t-elle.
— Je lui ai fait confiance avant, mais j’avais tort.
— Et maintenant tu as raison ?
— Dimitri a épuisé toutes ses options.
Elle marqua une pause avant de me demander :
— À quelle distance se trouve Kourilovo ?
— Pas loin, répondis-je. Nous nous mettrons en route après-demain. Je ferais mieux de partir.
Nous nous fîmes nos adieux et je partis, emportant la lettre de Iouda. Je retournai à l’auberge et dormis la majeure partie de l’après-midi. En début de soirée, j’entendis frapper à ma porte. C’était Dimitri. Je lui montrai la lettre.
— Eh bien, tu ne vas pas y aller, n’est-ce pas ? demanda-t-il dédaigneusement.
— Si, je crois que nous y allons.
— Nous ?
— Oui, Dimitri, nous.
— Mais c’est manifestement un piège, insista-t-il.
— Connais-tu le croisement qu’il mentionne ?
— Non, je ne crois pas.
— C’est un fort bon endroit pour retrouver quelqu’un en qui tu n’as pas confiance. Il y a une vue dégagée sur tous les alentours. Nous pourrons facilement voir s’il a amené qui que ce soit avec lui.
— Penses-tu qu’il sait cela ?
— C’est possible, répondis-je. Ils sont peut-être passés par là durant la dernière partie de leur voyage depuis Toula jusqu’ici. Je pense qu’il a choisi cet endroit pour que nous nous sentions tous les deux en sécurité.
— Tu crois qu’il a peur de toi ? demanda Dimitri, trahissant par une pointe dans sa voix la crainte qu’il ressentait vis-à-vis des Opritchniki, une crainte qui avait été en lui tout le temps, mais qui n’avait gagné en substance que lorsqu’il avait découvert qu’ils étaient devenus ses ennemis.
— J’espère que oui, répondis-je.
— Je ne pense toujours pas que ce soit une bonne idée. Ils ont quitté Moscou et bientôt ils auront quitté le pays. Il y a eu assez de morts parmi eux pour qu’ils ne reviennent pas. Laisse quelqu’un d’autre s’occuper d’eux. Laisse les Français s’en charger.
— Tu crois qu’ils ne reviendront pas ?
— Pourquoi le devraient-ils ?
— La vengeance. Regarde ce qu’ils ont fait à Max. Il avait tué trois d’entre eux. J’en ai tué quatre – même toi, tu en as occis un.
— Ils sont rationnels, pas rancuniers.
— La plupart d’entre eux, peut-être, mais pourquoi Iouda tenterait-il de nous attirer à ce rendez-vous si son seul plan est de partir ? Si nous n’y allons pas, il lui suffira de revenir ici. Il suggère déjà que Domnikiia puisse être en danger en lui envoyant la lettre.
— Je suppose, répondit Dimitri d’un ton contemplatif.
— As-tu essayé de retrouver la trace de Boris et Natalia ? demandai-je, changeant de sujet en apparence.
— Je suis retourné où ils vivaient, dit Dimitri, mais les Français avaient tout démantelé.
— J’ai découvert que leur boutique avait brûlé le premier jour des incendies.
— Je sais, dit-il. Boris me l’a dit.
— Mais j’ai rencontré quelqu’un qui les a vus après le départ de Bonaparte.
— Vraiment ? Où ça ?
— Dans le quartier.
— Dans cette maison, ce matin, j’ai cru que l’un des corps était celui de…
Dimitri ne parvint pas à se forcer à le dire.
— Je sais. Moi aussi je l’ai cru, un moment.
— Alors quand devons-nous nous mettre en route pour Kourilovo ? demanda Dimitri après une pause.
— Nous partirons après-demain, le 26. Cela nous laissera deux jours pour y parvenir.
Domnikiia réussit à me rejoindre cette nuit-là. Sur mes instructions, son arrivée fut rapidement suivie par celle de l’aubergiste, qui nous apporta à souper ainsi qu’une bouteille de vin. Nous nous assîmes à la petite table de ma chambre et parlâmes de sujets sans conséquence. Finalement, il n’y eut pas d’autre option que d’aborder le sujet de mon départ pour Kourilovo.
— À quelle heure Dimitri et toi allez-vous vous mettre en route ? demanda-t-elle.
— Au petit jour. Nous devrions
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