Douze
commencé avant cela.
— Alors, que s’est-il passé lorsque tu as rencontré Piotr ? demandai-je.
— Ils avaient déjà à peu près déduit que c’était toi qui avais tué Matfeï et Varfolomeï. Piotr m’a expliqué ce qui s’était passé dans l’incendie, lorsque tu m’as enfermé.
— Je ne savais pas que tu étais là, dis-je avec davantage de regrets qu’il était réellement nécessaire.
— Non, je sais cela, malgré la façon dont Iouda a tenté de présenter les choses.
— Donc Iouda a vu tout ce qui s’est passé ?
— Apparemment.
— Apparemment ?
— Il était déjà parti au moment où je suis arrivé sur place. Son cercueil était vide. Il a dû rester dans les environs pour regarder.
Ce n’était pas la version que m’avait donnée Iouda, dans la maison de Moscou, tandis que je me tenais à côté du corps pourrissant de Vadim. Il était intéressant que Iouda ait choisi de mentir sur un point si mineur. Peut-être était-ce pour me faire douter de Dimitri. D’un autre côté, peut-être était-ce Dimitri qui mentait. Si je pensais cela, alors clairement le plan de Iouda fonctionnait.
— Pourquoi n’a-t-il pas aidé ? demandai-je.
— C’était Ioann. La position de Iouda était meilleure sans lui.
— Et qu’est-ce que Piotr t’a raconté d’autre ?
— Qu’il pensait qu’ils pourraient probablement te laisser t’en tirer pour le meurtre de deux d’entre eux. Ce n’était pas comme avec Max, d’après lui. Le fait que Max les tue était une trahison. Avec toi, c’était juste de l’instinct.
Ou peut-être celui de Max était-il plus adapté que le mien.
— Et tu l’as cru ?
— C’était ce que j’avais envie d’entendre, expliqua Dimitri avec une lucidité atypique. J’aurais pu tuer moi-même Max, mais je ne t’aurais pas tué.
— Quel réconfort !
— Piotr a dit qu’ils te feraient venir, d’une façon ou d’une autre, à un rendez-vous où nous pourrions tout t’expliquer. Il est venu me trouver cette nuit-là. Il m’a dit qu’ils avaient réussi à te persuader de parler avec eux. Alors je l’ai accompagné.
— Mais il devait savoir, dis-je, réfléchissant à haute voix, ou au moins s’inquiéter du fait que, en voyant ces cadavres russes – et en voyant Vadim, pour l’amour de Dieu –, tu ne resterais pas longtemps de leur côté.
— L’endroit a été choisi par Iouda seul. Il a dû souhaiter que je voie cela.
— Pour te tester ? m’étonnai-je.
— Peut-être. Ou peut-être son plan était-il que cela se déroule exactement comme ça. Il s’est débarrassé d’Andreï, après tout.
La même pensée m’avait traversé l’esprit un peu plus tôt, lorsque j’avais lu la lettre de Iouda pour la première fois. Au-delà de cela, Dimitri se laissait en grande partie duper. Il y avait pu y avoir des désaccords entre les Opritchniki, mais je ne pouvais accorder le moindre crédit à l’idée qu’il y avait des vampires nobles et des vampires ignobles. Piotr et Andreï avaient survécu à Moscou pendant plus de deux semaines après que les Français étaient partis. Qu’avaient-ils bien pu manger pendant tout ce temps ? Du borchtch ?
Plus inquiétant pour moi que tout autre détail était le jour nouveau sous lequel je voyais le caractère de Dimitri. Je n’avais jamais douté du fait qu’il était impitoyable et qu’il se jugeait assez supérieur pour prendre ses propres décisions sur des questions morales comme, par exemple, de savoir s’il était raisonnable de travailler au côté des Opritchniki pour se débarrasser des Français. Mais qu’il puisse être si aveuglé par son propre désir de réussite au point de ne pas voir la nature réellement malveillante des Opritchniki, si crédule au point de croire ce qu’ils lui avaient dit, là était la surprise. En surface, il se présentait comme le cynique le plus endurci de nous tous, mais tout cynique doit, en plus de douter des motivations des autres, toujours douter des siennes.
Dans l’après-midi de notre premier jour de voyage, nous étions parvenus à un village que nous devions traverser, je le savais, et je soupçonnais que Iouda l’avait également su lorsqu’il avait choisi le lieu du rendez-vous. De la part de Dimitri, par contre, je ne vis pas le moindre signe d’anticipation.
Je descendis de mon cheval et l’attachai à l’extérieur de la hutte de bûcheron familière, d’où s’échappait une odeur fétide dont je ne parvenais
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