Douze
roc n’importe quelle créature vivante qui s’arrêtait de bouger. Je fis rouler sur le dos le corps sans vie et me penchai au-dessus, essuyant un peu de neige sur son visage pour vérifier qu’il s’agissait bien de Foma. C’était assurément lui. Il était mort les yeux ouverts et, en les regardant, je reconnus la noirceur qui, durant la vie de l’Opritchnik, n’avait pas été plus expressive qu’elle l’était maintenant dans la mort.
Les yeux firent soudain un petit mouvement rapide vers la gauche, puis vers la droite. Je sursautai de surprise et regardai de nouveau. Il répéta l’action à deux reprises, marquant une pause entre les deux. Foma n’était pas humain, c’était un vampire. Tout comme un coup de poignard, qui pouvait tuer un mortel, n’avait aucun effet sur un vampire, il était donc impossible qu’un vampire meure gelé. Bien que son corps tout entier se soit refroidi à la température de son environnement, à plusieurs dizaines de degrés en dessous de zéro, bien que tous les fluides qui avaient autrefois coulé en lui soient maintenant transformés en glace, la vie, ou du moins l’équivalent de la vie pour un vampire, ne pouvait pas être éteinte.
Seuls ses yeux demeuraient mobiles, même s’ils devaient eux-mêmes être de petites balles de glace dures. Ils se déplaçaient maintenant rapidement dans toutes les directions, à travers la seule trouée dans sa seconde peau de neige, comme les yeux d’un homme observant à travers une fenêtre givrée une pièce confortable, chaude et éclairée par un feu. Je me rappelai l’avoir déjà vu ainsi une fois auparavant, se tenant immobile contre le mur d’une allée à Moscou, ses yeux seuls en mouvement tandis qu’il inspectait les proies potentielles qui passaient devant lui. Son immobilité d’alors avait été volontaire, afin de l’aider dans sa dissimulation. Maintenant, il y était contraint.
Je ne sais pas ce que Foma avait tenté – si tentative il y avait eu – de me communiquer. Peut-être n’avait-il pas réfléchi du tout, ou n’avait-il même pas vu que c’était moi qui l’avais découvert. Peut-être étaient-ce seulement les mouvements oculaires de ses rêves, révélés au monde maintenant qu’il était incapable de fermer ses paupières gelées. Il ne pouvait avoir aucun espoir que je le sauve, mais il espérait peut-être que je le tuerais rapidement, et mourir maintenant plutôt que demeurer dans ces limbes jusqu’au printemps lorsque la chaleur du soleil s’épanouissant effacerait aussi bien la neige hivernale que le vampire en son sein.
Il s’avéra que sa mort fut immédiate, mais sans aucune intention de ma part. Je dégageai un peu plus de neige de son visage, pour voir s’il était capable d’autres mouvements que ceux de ses yeux. Mon ombre avait pu le protéger auparavant, mais, lorsque la première touche de lumière du soleil atteignit sa joue, celle-ci commença se consumer. Je bondis en arrière, réalisant ce qui était sur le point de se produire. Ce dont je fus témoin fut étrangement beau, dans la mesure où je pouvais jouir non seulement de la mort d’une autre de ces créatures – je devenais trop blasé pour cela – mais aussi du spectacle. C’était aussi beau que n’importe quel feu d’artifice que j’aie vu à Moscou ou à Pétersbourg. Grâce à la petite parcelle de peau que j’avais dégagée, le soleil commença à brûler le vampire. Cela eut pour conséquence de faire fondre davantage de neige et même d’incinérer ses vêtements, exposant davantage de chair à soumettre à l’action du soleil. Une ligne de flammes étincelante irradia de la tête de Foma puis parcourut en quelques secondes la totalité de son corps, la chaleur faisant fondre encore plus de neige et la neige fondue révélant encore plus de matière pour la combustion. Un bruit, comparable au ronflement d’un feu combiné au sifflement du vent, fut émis, suivant la ligne de flammes le long de son corps. Pendant un moment, il n’y eut qu’un éclat blanc aveuglant ayant la forme d’un corps humain – rappelant l’image que j’avais toujours eue de l’ascension de notre Seigneur –, mais il s’affaiblit rapidement.
Bientôt, il ne resta plus qu’une flaque de neige fondue, dont une partie était assez chaude pour dégager une légère vapeur. En quelques minutes, l’hiver s’était réaffirmé et la flaque avait gelé pour devenir une plaque de glace
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