Douze
! Que faites-vous donc ici ? demanda Iouda. Vous n’êtes quand même pas passés à l’ennemi ?
Il avait un degré de sarcasme débonnaire que j’étais surpris d’entendre de n’importe quel Opritchniki.
— Juste un peu d’espionnage, expliqua Vadim. Et vous ?
Iouda sourit.
— Nous ne venons pas pour espionner, mais pour tuer.
Matfeï et Foma trépignèrent, impatientés par cette inutile conversation qui retardait l’action.
— C’est une bonne chose que nous ne soyons pas venus plus tôt, poursuivit Iouda. Vous faites des Français très convaincants.
J’étais pressé de partir mais je sentais que nous devions faire bénéficier Iouda un minimum de nos recherches.
— Il y a plus d’une centaine d’hommes dans le camp, lui dis-je. Vous n’avez pas la moindre chance.
Alors même que je parlais, je me rappelai ce que nous avions vu accomplir Piotr, Ioann et Varfolomeï un peu plus tôt cette nuit, et je doutai de mes propres mots.
Iouda me tapota l’épaule avec condescendance.
— Merci de votre sollicitude, Alexeï. À bientôt.
Puis ils disparurent, s’évanouissant dans les ténèbres de la nuit pour devenir des ombres qui se découpaient sur les feux de camps, se joignant amicalement aux hommes contre lesquels ils allaient bientôt se retourner. Vadim et moi nous éloignâmes à vive allure, l’un et l’autre espérant secrètement être hors de portée des voix avant que les Opritchniki commencent leur travail.
De retour à Goriatchkino, nous passâmes nos vêtements habituels. Le cheval de Vadim était toujours attaché où nous l’avions laissé. Vadim monta en selle et se mit en route en direction de notre propre campement, à l’est de Borodino. Je poursuivis à pied. La pluie tombait à verse, rendue cinglante par les rafales de vent, et la route devint boueuse sous mes pieds. J’enviais Vadim pour son trajet rapide à cheval, mais je me hâtai d’avancer.
L’aurore perça sans le moindre chant d’oiseau. Le son des oiseaux qui osèrent seulement piailler fut étouffé par le bruit des douze cents canons qui ouvrirent le feu lorsque les affrontements débutèrent au sud. C’était un bruit magnifique, pour un militaire du moins, et j’aimais toujours à me considérer comme tel. La bataille présente une simplicité qui séduit chaque soldat, qu’il s’agisse du plus cérébral des officiers ou du riadovoï le plus basique. La moralité est mise entre parenthèses, permettant à un homme d’agir sans conscience, rassuré par le fait qu’il est de son devoir d’anéantir l’ennemi. La politique, pour cette courte durée, est l’affaire d’autres. Entre les batailles, certains hommes répriment leurs doutes, qui par leur amour inconditionnel du tsar, qui par des raisonnements politiques complexes, qui par une stupidité crasse et brutale.
Je faisais partie du deuxième groupe, et il s’était écoulé un long moment entre mes batailles. Mais je savais que je ne pouvais faire qu’une différence minime en tant que soldat isolé, et je continuai donc à marcher, tentant de passer la bataille pour retrouver Vadim, rejoindre les Opritchniki et les conduire à faire des dégâts réels.
Au nord de Borodino, la Moskova coulait en direction de l’est, vers Moscou, mais à cet endroit elle tournait un peu vers le sud, me forçant ainsi à m’approcher du champ de bataille davantage que ma tête – mais non mon cœur – l’aurait souhaité. Je contournai le village de Loguinovo, d’assez près pour constater qu’il grouillait de soldats de la cavalerie bavaroise, mais pas assez pour qu’ils puissent me voir. Mon problème suivant était de traverser la Kolotcha. Ce n’était pas une grande rivière, juste un affluent de la Moskova, mais je savais que je serais contraint de me diriger vers le sud, en direction de la bataille, afin de trouver un emplacement acceptable pour la traverser à gué. Finalement, je trouvai un endroit peu profond. Repensant à Max, je me demandai si je pourrais simplement traverser en marchant sur l’eau, puis je me lançai.
Quasiment au moment où mon pied entra en contact avec la surface, elle se mit à trembler et à onduler. Elle était déjà troublée par la pluie, mais cette perturbation avait un motif différent, dont j’étais familier. L’air était encore plein du son des tirs de canon mais, en écoutant plus attentivement, j’entendis ce à quoi je m’attendais : le bruit de sabots.
Avant que j’aie pu me
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