Douze
lançai un caillou à la fenêtre de Domnikiia. La fenêtre s’ouvrit et il en sortit la tête de Margarita Kirillovna.
— Nous sommes fermés, lâcha-t-elle.
— Margarita ! appelai-je. (Elle plissa les yeux en essayant de me reconnaître.) Est-ce que Domnikiia est là ?
Sa tête disparut et la fenêtre se referma. J’attendis. Quelques minutes plus tard, j’entendis qu’on retirait les verrous de la porte. Cette fois-ci, le visage qui se risqua à demi à jeter un œil à l’extérieur était celui de Domnikiia. Je m’approchai et tentai de l’embrasser, mais elle m’évita en douceur, m’invitant hâtivement à entrer et verrouillant de nouveau la porte derrière moi. À l’intérieur, je fus confronté à l’une des plus sublimes visions de chaos que j’aurais jamais pu imaginer.
Il y avait dans le salon un assortiment de filles magnifiques en train de ranger leurs beaux vêtements dans des malles. Bien que relativement simples, elles réussissaient d’une certaine manière à assimiler la beauté du ballet environnant. Il y avait huit filles employées au bordel et, bien que je n’aie de sentiments que pour l’une d’entre elles, j’avais des yeux pour toutes. Avec leur allure professionnelle, contrôlée et sage, elles auraient tenté le plus puritain des hommes. Leur panique naturelle de petite fille intensifiait leur charme.
Je suivis Domnikiia à l’étage, dans sa chambre, où une grande malle, à demi remplie de vêtements, occupait la place d’honneur. Margarita allait et venait depuis sa chambre, ajoutant de nouvelles couches d’atours dans le coffre et, dès que nous entrâmes dans la pièce, Domnikiia se dirigea à grands pas vers sa garde-robe et entreprit de faire de même. Elle ne m’avait pas adressé le moindre mot depuis que j’étais arrivé.
Alors qu’elle passait devant moi, je la saisis par le poignet et l’attirai vers moi, mais, cette fois, ce fut moi qui évitai notre baiser. Je n’avais pas remarqué auparavant, dans la mesure où cela avait été caché par la porte un peu plus tôt et parce qu’elle avait évité mon regard direct depuis, que son œil droit et sa pommette, haute et ronde, étaient contusionnés. Sa lèvre supérieure était ouverte juste en dessous de sa narine droite et, bien que ce ne soit pas une blessure récente, elle suintait encore du sang où elle l’avait rouverte en tentant de sourire. Sur sa mâchoire je pouvais également voir, maintenant que je l’examinais attentivement, les meurtrissures légères où une main large et brutale l’avait maintenue.
Bien que cette idée me fit un instant me mépriser davantage même que son assaillant, je sentis un frisson de désir me parcourir, plus fort que tout ce que j’avais éprouvé pour elle auparavant. Sa beauté était accentuée, et non cachée, par la vulnérabilité que lui conféraient ces blessures.
J’embrassai ses lèvres aussi légèrement que je l’osai, ne voulant pas lui faire de mal, mais refusant aussi de suggérer toute diminution de ma passion due à ces imperfections.
— Qui t’a fait cela ?
— Je t’ai demandé qui était Dimitri, répondit-elle d’un ton acerbe. Je l’ai découvert.
— C’est lui qui a fait cela ?
Je tentai de paraître incrédule mais, tout comme je n’avais pas été surpris, au fond de mon cœur, par la découverte du fait que Max avait été un espion, je n’étais pas surpris de découvrir que Dimitri était capable de traiter une femme pour parvenir à ses fins. Par le passé, je n’avais jamais eu connaissance d’un tel comportement de sa part, mais je ne pouvais y trouver aucune incohérence avec ce que je connaissais de son caractère.
— Il voulait savoir où se trouvait Max, je suppose.
Elle ne répondit pas mais enfouit son visage contre ma poitrine et se mit à pleurer. Le silence qu’elle s’était imposé jusqu’à présent était dû à la peur de ne pas être en mesure de se contrôler. Maintenant qu’elle m’avait révélé l’unique fait important qu’elle avait à me transmettre, elle se laissa aller au plaisir d’abandonner tout contrôle, et m’offrit celui d’être son consolateur. Il lui restait toutefois une dernière chose à me dire.
— Mais je ne le lui ai pas dit, Liocha, lâcha-t-elle entre deux sanglots. Je n’ai rien dit. Rien.
Je ne pouvais trouver dans mon cœur aucune raison de lui reprocher d’avoir trahi Max et je fus donc heureux de lui permettre cette supercherie,
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