Douze
mettre la main sur Dimitri Fétioukovitch et de faire ceci !
Je le frappai violemment dans les reins. Il se pencha en avant, les mains pressées sur son flanc. Je posai les mains sur son dos, le tirant vers mon genou que j’élevai brutalement vers sa poitrine. Il en eut le souffle coupé, mais n’offrit toujours pas la moindre résistance. C’était un homme plus costaud que moi et, pour ce que j’en savais, un meilleur combattant. Je devinai qu’il avait décidé d’endurer avec stoïcisme. S’il s’attendait à de la compassion de ma part, il allait être bien surpris. De fait, tout comme moi. Je m’étais laissé envahir par la colère due à ce qu’il avait fait à Domnikiia et Max et, désormais, comme cela m’arrivait rarement, je ne me contrôlais plus. Je le frappai dans les jambes et il s’effondra au sol, délibérément à la merci de mes violents coups de pied répétés dans sa poitrine et son estomac.
À chaque coup, je criais en moi-même « Max ! » et « Domnikiia ! » et chaque fois j’éprouvais la même joie, comme si j’étais avec eux plutôt qu’ici. Je sentais une énergie vibrante circuler dans ma jambe tandis que je le frappais ; une énergie voulant désespérément sortir de moi et entrer en lui. Mon corps et mon esprit tout entiers s’abandonnèrent à cette sensation. Je ne voyais plus rien, je n’éprouvais plus rien en dehors de cette exaltation chaque fois que mon pied martelait son torse. Elle inonda tout mon être, non pas comme une sensation agréable, mais plutôt comme quelque chose de dévorant. C’était comme le spasme qui déchire le corps lors d’un vomissement, alors que je régurgitais sur Dimitri la haine que j’avais nourrie pour lui dans mes tripes.
— Alexeï ! Alexeï ! Capitaine Danilov !
J’avais dû entendre mon nom hurlé une demi-douzaine de fois avant qu’il pénètre ma conscience. Vadim m’avait entraîné à distance de Dimitri, bien que je tente toujours d’envoyer des coups de pied dans sa direction. Une petite foule de passants s’était rassemblée tout autour. Certains étaient penchés sur Dimitri, et vérifiaient qu’il allait bien.
Je respirai profondément. Je me sentais satisfait – physiquement satisfait. Chaque extrémité de mon corps sentait qu’elle avait accompli son travail et je – ou devrais-je dire « nous» – commençais à me calmer. Je me tournai vers Dimitri et je sentis une onde de culpabilité passer en moi. Non, pas de culpabilité : de pitié. J’avais pitié de la souffrance de Dimitri, sans ressentir de culpabilité pour en avoir été la cause. Le regard angoissé de Dimitri, tout comme ma raison, me disait que ce que j’avais fait était admissible. Vadim lui-même le confirma.
— Ça suffit, Alexeï Ivanovitch. Cela t’était dû – Dimitri le sait lui aussi –, mais nous avons toujours une guerre à mener. La prochaine fois, attaque-toi à un Français.
Dimitri essayait de se remettre debout. Il me tendit la main pour que je la saisisse et l’aide à se relever, mais je ne le pouvais pas. J’avais été dans l’armée assez longtemps pour voir nombre de bagarres sauvages qui auraient pu se terminer par la mort d’un des deux hommes, et pourtant ces mêmes hommes riaient et buvaient ensemble quelques heures plus tard. Dans ce cas, et en bien d’autres choses, je ne pouvais être aussi frivole. Je ne pouvais pas minimiser ma propre perte de contrôle avec une simple poignée de main. Cela m’avait effrayé et cela devait terroriser Dimitri, et tout autre observateur, au point de les dissuader de déchaîner de nouveau cette colère en moi. Dans le même temps, j’avais conscience que ne pas perdre le contrôle m’effrayait davantage encore. Si la violence effrénée qui venait de jaillir de mon corps l’avait été sous mon contrôle conscient, guidée par mon intelligence et librement lâchée par ma conscience, j’étais une bien dangereuse créature. Mais si ç’avait été une frénésie incontrôlable, pourquoi n’avais-je donné de coups de pied que dans son torse, où je pouvais le blesser, et non à sa tête, où je pouvais le tuer ? Peut-être y a-t-il un instinct viscéral, primaire, qui dicte à un homme comment en faire souffrir un autre sans causer sa mort. Peut-être avais-je appris cela dans cette prison turque de Silistra.
Dimitri s’était relevé sans mon assistance.
— Sommes-nous quittes, Liocha ?
C’était presque une supplique. Il ne m’avait
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