Douze
mais les yeux exprimant avec assurance l’affection qui, nous le savions tous les deux, nous liait. Je courus le saluer.
— Vadim ! Comment vas-tu ? C’est bon de te revoir. Où étais-tu ?
Il sourit.
— J’étais un peu au sud d’ici, avec Bagration.
Il prononçait le nom du grand général comme s’il le connaissait personnellement, ce qui était tout à fait possible. Vadim était le genre d’officier qui semblait connaître tout le monde. Il avait des contacts dans la société de Pétersbourg dont beaucoup rêvaient. Mais, contrairement à de nombreux autres officiers ayant des relations, Vadim choisissait d’utiliser ces amitiés pour pouvoir vraiment remplir des objectifs militaires et non simplement pour faire avancer sa propre carrière. Les faveurs qu’il demandait discrètement à Bagration porteraient sur des rations ou des armes supplémentaires pour ses hommes, et non une promotion ou une affectation en sécurité, bien loin du front.
— Alors comment a-t-il réussi à se débarrasser de toi ? demandai-je.
— Je lui ai dit que j’avais du travail à accomplir. À ce sujet, es-tu occupé ?
— Occupé à battre en retraite, dis-je amèrement. Qu’est-ce que tu avais en tête ?
— Sauver la Russie.
— Rien que cela ?
Il haussa les épaules, tenant mon consentement pour acquis.
— Je te retrouve ici ce soir à 20 heures. Oh, et vois si tu peux amener Maxime Serguéïevitch avec toi.
Je savais où Max était cantonné. Il me fut facile de le trouver, mais étonnamment difficile de le convaincre de se joindre à nous.
— Cela fait longtemps que nous n’avons pas travaillé ensemble, Alexeï. C’était avant Austerlitz, et je ne m’en suis pas très bien sorti, n’est-ce pas ? Je crois que je ferais mieux de m’en tenir aux activités d’un soldat régulier. Je vous ferais courir des risques.
Je compris maintenant exactement comment, en tant que traître au sein de notre groupe, il pouvait se sentir lui-même en danger mais, à l’époque, cela semblait tout à fait inhabituel.
— Toi, Max ? Un soldat régulier ? demandai-je dans un éclat de rire. (Quand je l’avais rencontré pour la première fois, il avait semblé le plus improbable des guerriers. Ce ne fut qu’une fois qu’il nous eut rejoints, Dimitri, Vadim et moi, qu’il commença réellement à s’adapter.) Tu t’ennuierais à en mourir.
— C’est vrai, mais cela n’en fait pas pour autant une mauvaise décision.
Voilà qui lui ressemblait davantage.
— Mais nous avons besoin de toi.
Il ne dit rien. Il avait l’air partagé. Je pouvais voir que, dans son cœur, il n’y avait rien qu’il souhaite davantage que de rejoindre l’ancienne épique, mais quelque chose le retenait.
— Vadim m’a dit de te ramener, dis-je.
— Il te l’a ordonné ?
Une expression fugace de fierté traversa son visage à la mention du nom de Vadim. Je fis la moue.
— Tu connais Vadim, dis-je.
— Dans ce cas je vous verrai à 20 heures, répondit Max.
Max était arrivé le premier ce soir-là, vite suivi par Vadim qui avait amené avec lui Dimitri. Ce dernier était également à Polotsk avec la première armée, et Max et moi l’avions donc beaucoup vu. Les seules retrouvailles étaient donc celles entre Max et Vadim.
— De retour au bercail, hein, Maxime ? dit ce dernier en lui serrant la main.
— Avec toi dans le rôle du vigilant berger ? demandai-je en regardant Vadim.
— Plutôt le loup que le berger, murmura Dimitri.
— Nous allons tous être des loups, et prendre pitié des pauvres petits agneaux français, dit Vadim.
— Alors c’est plutôt de retour au sein de la meute de loups ? demanda Max.
Et ainsi, sept ans après sa constitution, la meute de loups s’était régénérée. Peu de temps après, Polotsk était tombé et nous avions une fois de plus battu en retraite. Ce ne fut pas avant que Smolensk soit prise que Barclay de Tolly parla à Vadim (ou peut-être fut-ce l’inverse) et que nous fûmes affectés à notre mission présente. Et désormais, à Moscou, en septembre, la meute de quatre était réduite à trois. Max ne risquait plus jamais de s’ennuyer.
Debout le long de la rivière Moskova, au cœur de Moscou, notre petit groupe – Vadim, Dimitri et moi – prit quelques dispositions plus détaillées. Au cours de ses discussions antérieures avec Iouda, Vadim avait sélectionné sept lieux de rendez-vous parmi ceux de notre liste qui se trouvaient à Moscou même.
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