Douze
poursuivis-je lentement, observant Dimitri pour évaluer sa réaction et voir s’il allait révéler quelque chose, est qu’il s’est échappé – Pierre, j’entends.
— Ainsi donc les Opritchniki ne sont pas aussi infaillibles que nous le pensions, déclara Vadim.
— Non, en effet, poursuivis-je. Ce n’est pas leur genre de laisser un survivant s’en aller et raconter tout ce qui lui est arrivé.
Dimitri se tourna vers moi, le regard horrifié et scrutateur, luttant pour tourner son corps meurtri. Pierre avait pu me révéler quelque chose, quelque chose de terrible, et Dimitri fouillait mon âme même pour voir si Pierre m’en avait effectivement parlé ; pour déterminer ce que je savais. Naturellement, tout ce que j’avais entendu de Pierre était ses divagations confuses et délirantes, mais je savais désormais grâce à Dimitri qu’il y avait quelque chose que j’aurais pu apprendre et que j’avais maintenant l’intention de découvrir.
Peu de temps après, nous prîmes congé les uns des autres. Cette fois, il y eut peu d’effusions. Nous étions tous trop préoccupés par nos projets personnels des prochains jours. Vadim avait une dernière chose à dire.
— Nous n’en viendrons peut-être pas là, vous savez. Je ne veux pas l’envisager, mais nous aurons à affronter une grande armée. Je veux juste vous dire que si l’un de nous est blessé, ou si la situation devient trop tendue pour nous ici en ville, nous ne devrions pas avoir peur de quitter les lieux. Si nous pouvons prévenir les autres, c’est d’autant mieux, mais la survie est tout aussi importante que l’héroïsme. C’est noté ?
Dimitri et moi acquiesçâmes tous deux gravement, puis nous nous séparâmes. Vadim nous avait indiqué que le lieu et la manière de nous cacher était notre propre affaire mais, par quelque instinct que nous avions établi au fil des années passées à travailler ensemble, nous prîmes immédiatement des directions différentes. Vadim s’en fut vers l’ouest, le long des berges de la rivière. Dimitri et moi partîmes silencieusement dans la direction opposée, mais moins d’une minute s’écoula avant que Dimitri tourne en direction du nord pour revenir vers le pont.
Je continuai vers l’est. Mon plan d’action avait été, de façon quelque peu oblique, inspiré par la vue du fantassin français se faisant fouetter. Je tournai rapidement en direction du sud et me dirigeai vers le canal dans la zone de Zamoskvoretchié. Il fut assez facile de trouver une maison abandonnée, des planches clouées à la hâte sur les portes et les fenêtres, et plus facile encore de briser ces défenses naïves. Qui que soit l’occupant ayant abandonné cette maison, il avait été assez généreux pour emmener avec lui ses domestiques, mais pas assez, par chance pour moi, pour prendre aussi tous les biens de ces serviteurs. Il ne me fut donc pas difficile de trouver un uniforme de majordome qui m’allait. Je comptais sur le fait que, une fois les Français arrivés, un serviteur russe serait en mesure de se déplacer en ville relativement en sécurité. Si ce n’était pas le cas, ce ne serait que le travail d’un instant de me transformer en un domestique français émigré, accueillant à bras ouverts l’armée de libération qui l’avait sauvé de ses cruels maîtres.
La maison vide constituait également un bon endroit pour me loger, au moins pour le moment, bien que je doive me méfier dans la mesure où la foule des envahisseurs serait également à la recherche de bâtiments abandonnés où ils pourraient être cantonnés. Il y avait une foule de sorties de secours si jamais j’avais besoin de partir en catastrophe.
Et ainsi j’attendis. Moscou devint plus silencieux et vide lorsque ceux qui étaient restés en arrière partirent finalement, mais les Français n’arrivaient toujours pas. J’errai dans les rues de ma ville bien-aimée durant les quelques jours qui suivirent, abasourdi par l’horreur de sa quiétude. Peu de gens étaient restés, peut-être un cinquantième de la population, et tous avaient le moral sapé par la distance qui les séparait de la prochaine personne qu’ils pouvaient croiser. Une semaine plus tôt, les Moscovites avaient dû pousser et bousculer pour se frayer un chemin dans les rues bondées – et ils s’étaient probablement aussi plaints de la foule excessive – mais, désormais, c’était presque comme de vivre à la campagne, sans
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