Douze
ses doigts entre mes lèvres tandis qu’elle retirait sa main.
Piotr parti, bien que je ne sache comment, Zmiéïévitch fit entrer l’Opritchnik suivant, Andreï. Son comportement fut identique à celui de Piotr ; le baiser sur le cou de Domnikiia et la main sur son sein. Sa réponse fut la même et j’avalai une fois de plus avec avidité le grain de raisin lorsqu’elle me le donna, conscient que j’allais être empoisonné de la même manière que mon fils, allongé sans vie sur le lit de l’autre côté de la pièce, et néanmoins toujours avide de manger les grains de raisin à cause du frôlement léger des doigts de Domnikiia qui les accompagnait.
Et ainsi l’histoire se répéta encore et encore pour chacun des Opritchniki. Zmiéïévitch fit entrer dans la pièce Iakov Zevedaïinitch, puis Ioann, ensuite Filipp, Varfolomeï, Foma, Matfeï, Iakov Alfeïinitch, Faddeï et Simon. Chacun d’eux embrassa et caressa Domnikiia et, chaque fois, elle y répondit en me donnant un autre grain de raisin empoisonné à manger. J’avalais chaque grain avec plaisir, avec un sentiment de peine croissant à l’idée qu’ils causeraient ma mort, mais sans désir de faire quoi que ce soit pour l’empêcher.
Une fois que Simon fut reparti, je savais qu’il ne restait plus qu’un seul Opritchnik à faire entrer. Je jetai un coup d’œil vers l’autre lit, où mon épouse et ma mère étaient toujours assises avec la même expression de curiosité docile, conscientes au fond de leur cœur du danger de la scène, mais trop indulgentes envers mes caprices excentriques pour critiquer ces gens qu’elles supposaient être mes amis. Derrière elles, je remarquai que la petite épée de bois au côté de mon fils était brisée en deux. Et mon fils était plus grand, beaucoup plus grand, mais toujours mort. C’était maintenant Max et je compris alors que ç’avait toujours été lui, bien que je ne puisse toujours pas voir son visage.
Zmiéïévitch avait un dernier hôte à inviter dans la pièce. C’était Iouda. Il s’avança vers Domnikiia, mais ne fit rien de plus que s’incliner légèrement et soulever son chapeau. Puis il alla à la fenêtre et ouvrit brusquement les rideaux, remplissant la pièce de lumière. Par la fenêtre, je vis un tableau hivernal. Une petite mare trônait au milieu d’un jardin couvert de neige. Une large fissure dentelée divisait la fine couche de glace qui la recouvrait. Iouda se détourna de la fenêtre et s’approcha de moi avec un sourire triomphant, les bras encore tendus vers les rideaux, accueillant les acclamations d’une foule que je ne pouvais ni entendre ni voir, mais que je savais présente.
Il se plaça derrière Domnikiia et se pencha sur elle, non pas pour l’embrasser ou la caresser comme les autres l’avaient fait, mais simplement pour prendre un grain de raisin dans le bol placé devant elle. Il marcha vers moi et m’offrit nonchalamment le fruit, que je saisis mais que je ne mangeai pas. Je le tins entre mon pouce et mes doigts et l’offris en retour à Domnikiia, mais elle refusa, secouant la tête et reculant face à la mort que, elle en était bien consciente, le raisin susciterait et que j’avais si calmement acceptée. Iouda s’avança de nouveau derrière elle et maintint sa tête immobile, me permettant de porter à ses lèvres le grain de raisin, mais elle les garda fermement serrées, les yeux également clos, crispée comme pour ajouter à son caractère inexpugnable.
J’écrasai le grain de raisin sur ses lèvres et, bien qu’elle tente de détourner la tête, elle n’y parvint pas. La poigne de Iouda la maintenait fermement. Je vis mes deux doigts restants frotter la peau et la chair écrasée du raisin sur les lèvres de Domnikiia, essayant de la contraindre à accepter le moindre morceau du poison. Je contemplais les moignons de mes deux doigts manquants et je songeais à quel point cela aurait été plus simple, si ma main avait été entière, de la forcer à ouvrir les lèvres et de lui faire goûter le fruit.
Et puis je remarquai, enroulée autour de mon majeur, une bague en forme de dragon, avec un corps d’or, des yeux d’émeraude et une langue rouge et fourchue.
Je m’éveillai.
Ce qui fait d’un rêve un cauchemar n’est pas son contenu, mais son atmosphère. Rien dans mon rêve n’avait été ostensiblement horrible, mais je m’éveillai avec le sentiment – aussi sûr que jamais – que quelque chose
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