Douze
Verechtchaguine accusé d’être un espion français. La foule avait lynché Verechtchaguine pendant que Rostopchine s’était éclipsé vers la liberté, sans avoir subi la moindre violence. Ce n’était pas la seule occasion où je devais trouver des points communs entre le gouverneur de Moscou et moi-même.
Lorsqu’ils arrivèrent, les envahisseurs étaient menés non par Bonaparte, mais par son beau-frère le maréchal Murat, que Bonaparte (honteux, comme tout républicain le serait, de voir un simple soldat épouser sa sœur) avait élevé au rang de roi de Naples. Bonaparte lui-même devait succéder à Murat dans la ville le lendemain. Je me dissimulai dans un petit attroupement de Moscovites qui assistèrent à l’arrivée de Murat plus par curiosité que par peur ou respect. Beaucoup pensaient être en train de contempler Bonaparte lui-même, mais j’avais vu assez d’images du Petit Caporal pour savoir que ce n’était pas lui. L’uniforme flamboyant et la chevelure lâchée, bouclée et presque féminine était un style que Bonaparte aurait abhorré, et ne me laissèrent aucun doute quant à l’identité de ce maréchal de France.
Les troupes françaises se propagèrent en vagues dans la ville désertée, ne montrant que peu de préoccupation pour les quelques Russes qui subsistaient. Je fus arrêté de temps à autre, mais il y avait bien trop peu de russophones parmi eux pour accompagner chaque peloton. Lorsque l’on me contrôlait, comme d’autres que je vis dans la ville, je n’avais qu’à répondre avec un flot de paroles russes suffisamment soumises, et j’étais autorisé à poursuivre mon chemin.
C’était un lundi, et notre lieu de rendez-vous choisi pour ce jour-là était la Place Rouge elle-même. En des temps plus conventionnels, c’était un lieu idéal pour une rencontre clandestine, grouillant comme il l’était de groupes où deux ou trois personnes en pleine conversation ne se distinguaient pas. Aujourd’hui, toutefois, les attroupements étaient ceux des soldats français. Se rencontrer là aurait été courageux et, lorsque l’on réalise des actes de sabotage dans une ville occupée, le courage n’est pas une qualité qui va de pair avec le succès.
Je contournai la place, revenant trois fois ce soir-là, mais je ne vis pas le moindre signe de Vadim, ni de Dimitri, ni d’aucun des Opritchniki.
Je retournai à la maison où j’avais séjourné, et découvris qu’elle était déjà devenue la caserne temporaire d’une dizaine d’officiers français. Judicieusement, je n’avais pas laissé à l’intérieur le peu de possessions que j’avais. Grimpant sur le toit, je trouvai le petit paquet que j’y avais caché, ainsi que mon épée, intacte et en sécurité. Aucun des hommes à l’intérieur ne m’entendit lorsque je les récupérai. Je me dirigeai plus au sud et trouvai un hébergement moins luxueux mais commode, que les Français avaient considéré indigne. Je n’étais pas le premier homme de l’histoire, et je ne serais pas le dernier, à être contraint de dormir dans une étable.
Le lendemain, il n’y avait pas grand-chose que je puisse faire à part errer dans la ville. La nourriture était encore assez abondante, mais elle avait un prix. Les Moscovites restés en arrière avaient probablement des raisons variées justifiant ce coût élevé mais, pour certains, il y avait tout simplement un bénéfice à en retirer. Une armée d’invasion pouvait tout simplement réquisitionner la moindre denrée, la moindre bouteille de vodka, et toute autre denrée qu’elle souhaitait mais, bien qu’elle puisse ainsi obtenir gratuitement ce qu’elle consommerait, elle ne pourrait obtenir rien d’autre. Une armée en mouvement peut piller, mais une armée à l’arrêt doit commercer. Elle doit faire appel à autrui pour sortir de la ville et se réapprovisionner. Cela était, du moins, la sagesse conventionnelle. Je le croyais et, selon moi, Bonaparte aussi. Comme toujours, nous avions tous les deux surestimé la résolution des paysans russes. Quelques aliments frais parvinrent à entrer en ville, mais c’était très insuffisant. Les Français – et leurs chevaux – devraient en fin de compte survivre avec ce qui était stocké dans les caves et les greniers. C’était trop peu. Si les Français en avaient pris conscience, leur séjour à Moscou aurait pu être encore plus court – et cela les aurait peut-être effectivement sauvés,
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