Douze
nationalité, française, russe ou japonaise, d’un individu, notre instinct nous pousse à ne pas nous préoccuper des sous-classifications de choses qui ont déjà été considérées comme étrangères.
Foma courait le risque, toutefois, de rencontrer une patrouille comptant dans ses rangs un russophone, et il serait alors découvert. Que ce soit par ce raisonnement ou par instinct, il contournait le problème en évitant d’être vu. Lorsqu’une patrouille (ou, à vrai dire, quiconque) approchait, il s’engouffrait dans une allée ou un porche sombres et attendait que celle-ci passe. Sa capacité à se dissimuler dans les ténèbres était remarquable. À un moment, alors que je l’observais depuis l’autre extrémité de la rue, il entendit des bruits de pas et se jeta dans l’ombre du mur qui marquait la fin d’un bloc de maisons. C’était comme s’il avait disparu sous mes yeux.
Je le surveillais plusieurs minutes pendant que passaient tout d’abord une patrouille organisée puis un groupe excité de soldats ayant fini leur service, et il resta invisible. Je sortis ma longue-vue et observai de nouveau l’endroit où je l’avais vu pour la dernière fois, mais je ne pus rien distinguer à part les formes vagues d’ombres obscures projetées sur le mur. Puis, soudainement, ce que je voyais se transforma ; non pas par un quelconque changement intrinsèque, mais simplement par ma réévaluation inconsciente de ce que je voyais. Je n’étais pas en train de fixer une ombre, mais le côté du visage de Foma, collé au mur dans la plus totale immobilité. C’était cette capacité à rester aussi impassible qui lui permettait, en quelque sorte, de disparaître. Son manteau sombre cachait l’essentiel de son corps. En regardant plus en détail, je parvins également à identifier sa main, appuyée contre le mur, comme tendue vers ceux qui passaient mais, là encore, invraisemblablement immobile. Du bras qui, je le savais, devait se situer quelque part entre sa main et son visage, je ne pouvais rien distinguer.
En étudiant son visage, je remarquai un mouvement infime. Ses yeux allaient et venaient vivement. On dit que lorsqu’un homme rêve, son corps reste totalement immobile et pourtant ses yeux continuent à se mouvoir, indiquant physiquement au monde réel la direction dans laquelle le dormeur regarde dans son esprit. La seule différence était que les yeux de Foma étaient ouverts, suivant les derniers traînards du groupe de soldats ayant terminé leur service lorsqu’ils passèrent en titubant.
Une fois que fut passé l’homme fermant la marche, ses pas s’évanouissant dans la nuit, Foma bougea et fut soudainement de nouveau très visible. Mais il ne poursuivit pas sur son chemin. Il avait aimé ce qu’il avait vu et entreprit de suivre les soldats en remontant la route. Cette fois, ce fut mon tour de reculer dans les ténèbres.
Foma suivit les soldats, je suivis Foma, et nous nous dirigeâmes tous peu à peu vers l’est, dans la périphérie de Kitaï-Gorod. Des flammes nouvelles brillaient au sud-est, mais la zone dans laquelle nous nous trouvions demeurait intacte, épargnée non seulement par le feu mais aussi par les Français. En avant de la petite troupe que nous suivions, nous ne vîmes aucune autre patrouille. Rapidement, les soldats parvinrent à leur destination : un bâtiment d’école abandonné qu’ils utilisaient comme baraquements. Avec les mêmes rires et plaisanteries qui avaient accompagné l’ensemble de leur trajet à travers la ville, ils pénétrèrent dans le bâtiment et fermèrent la porte.
Foma n’était qu’à une courte distance derrière eux mais, de nouveau, il s’était immobilisé, son dos pressé contre le mur, et il était resté invisible aux yeux de tous sauf aux miens. Me dissimulant moi-même au bout de la rue, j’observai Foma pour voir ce qu’il allait faire ensuite. Maintenant que les réjouissances bruyantes des soldats s’étaient arrêtées, ma propre respiration semblait assourdissante. Foma arpenta la rue devant l’école, observant les hautes fenêtres, m’évoquant un chat allant et venant devant un oiseau en cage, ne doutant jamais de sa capacité à grimper et à attraper la créature chétive et gazouillante, mais simplement à la recherche de la meilleure voie pour monter ; celle par laquelle le chat est le moins susceptible d’être découvert.
Après un court moment de réflexion, Foma s’arrêta sous l’une
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