Douze
des fenêtres, décidant que c’était la plus facile à atteindre ou peut-être remarquant quelque indice subtil qui suggérait qu’il pourrait l’ouvrir. Sans hésitation, il entreprit d’escalader le mur. C’était un exploit étonnant, que je n’aurais jamais pu accomplir, ni quiconque sauf le plus expert des grimpeurs. Il trouvait les moindres minuscules crevasses et fissures et réussissait, je ne savais comment, à glisser ses doigts ou ses orteils assez profondément à l’intérieur pour y gagner une prise.
Tout comme lorsqu’il s’était caché, son corps était inséparablement collé au mur et, lorsqu’il déplaçait chaque membre tour à tour vers la prise suivante, son corps glissait comme de l’eau coulant sur un rocher, ne s’écartant jamais de la paroi de peur d’être déséquilibré. Il donnait l’impression d’être une sorte de lézard ou d’insecte – non, ni l’un ni l’autre, plutôt une araignée –, mais je me rendis compte que l’exploit de Foma n’était en vérité pas inhumain mais surhumain. Tout homme doté de la force, de la technique et de l’expérience – et aussi, il faut bien le dire, de l’audace – requises aurait pu y parvenir. Je n’étais pas un tel homme et il était difficile d’imaginer qu’un homme aussi peu avenant que Foma puisse être aussi talentueux dans un quelconque domaine d’activité.
Il atteignit la fenêtre et l’ouvrit sans difficulté, se glissa dans le bâtiment avec une rapidité qui donna presque l’impression qu’il avait été aspiré à l’intérieur. Je n’avais pas le moindre moyen de le suivre, et absolument aucune envie de me retrouver pris au piège dans une pièce avec lui lorsqu’il découvrirait que je l’avais suivi.
Je me glissai furtivement vers le bâtiment et écoutai. Tout était silencieux à l’intérieur ; pas le moindre indice quant à ce que Foma pouvait être en train de faire, ou la moindre réaction de la part d’un des soldats qui y dormaient. Je ne pouvais pas faire grand-chose, à part attendre et espérer que Foma quitte les lieux par la fenêtre par laquelle il était entré ou, du moins, par le même côté du bâtiment. La maison d’en face avait un porche assez grand et, par conséquent, je m’y assis, adossé au mur et caché de l’école par l’un des piliers.
J’imagine que j’ai somnolé, mais il sembla ne s’être écoulé que quelques secondes avant que le commandant d’un petit escadron de soldats français m’interpelle dans un russe avec un fort accent.
— Qu’est-ce que vous faites ici ? aboya-t-il.
— Je dors, commandant !
Je bondis sur mes pieds, m’efforçant de faire preuve de respect, mais je pris conscience que, si je n’étais pas assez prudent, je risquais de trahir mon expérience militaire.
— Vous n’avez pas de maison ?
Tandis que le lieutenant parlait, je remarquai que derrière lui s’ouvrait de nouveau la fenêtre de l’école de l’autre côté de la rue.
— Elle est occupée, commandant, répondis-je, essayant de ne pas regarder la fenêtre et, ce faisant, de ne pas trahir Foma. Par vos compatriotes.
— Et où était-ce donc ?
C’était une question piège. Je tentai de me remémorer un endroit à proximité, où j’avais vu des soldats français cantonnés.
— Chemin de Kolpatchni, commandant.
Derrière lui, la silhouette de Foma se glissa au sol, ni tout à fait sautant ni tout à fait grimpant, mais s’écoulant – plus lentement que de l’eau mais plus rapidement que du miel – comme du sang. Il parcourut le mur comme l’ombre d’un objet immobile projetée par une lumière en mouvement.
— Je vois, poursuivit l’officier. (Il semblait me croire et avoir une certaine sympathie pour ma situation.) Mais je ne peux rien y faire. Mes hommes doivent bien dormir quelque part.
J’acquiesçai. Foma s’éloigna silencieusement dans la rue, semblant presque tituber par rapport à son habituelle démarche furtive, comme s’il était fier de ce qu’il avait accompli à la caserne temporaire. Je ne sais s’il jeta un regard dans ma direction et celle du soldat français. Même si ç’avait été le cas, il avait pu ne pas me reconnaître. Il n’entreprit certainement rien pour venir à mon secours.
— Moi aussi je dois dormir quelque part, dis-je au lieutenant, essayant de ne pas apparaître soumis au point d’éveiller les soupçons.
— Sans doute, mais vous ne pouvez pas dormir ici. C’est une caserne,
Weitere Kostenlose Bücher