Douze
plein – plein à craquer – de Français et de leurs alliés. Les Opritchniki n’avaient pas davantage besoin de directions qu’un faucheur n’a besoin qu’on lui indique un champ de blé luxuriant. Ou qu’un renard qu’on lui désigne un poulet comme sa proie une fois qu’il a trouvé le poulailler. D’un autre côté, malgré leurs slogans révolutionnaires, tous les Français n’étaient pas égaux et ne constituaient pas tous la même menace pour nous. Les officiers étaient de toute évidence des cibles plus fructueuses que leurs hommes, et les officiers spécialistes – de l’artillerie ou du personnel général – seraient une plus grande perte pour la machine militaire française. C’était donc vers eux, quand je savais où les trouver, que j’orientai Foma et Ioann.
— Où sont les incendies en ce moment ? demanda Foma une fois que j’eus terminé.
— Voyez par vous-mêmes, dis-je en pointant du doigt. Le long de la rue Pokrovka, et dans d’autres rues aussi. (Si l’on regardait au nord, au-dessus de la ville, le ciel était rougi par la lueur des feux. Les incendies eux-mêmes apparaissaient comme des arcs rougeoyants sur lesquels se découpaient les bâtiments.) J’imaginais que vous les aviez peut-être démarrés vous-mêmes, ajoutai-je.
— Nous ? (Foma fut décontenancé, presque insulté par cette suggestion, mais aussi étrangement effrayé.) Le feu ne nous sert à rien. (Il n’était pas enclin à expliquer davantage ce qu’il entendait par là.) Nous allons y aller, maintenant, poursuivit-il. Nous, ou quelques-uns des autres, ferons de notre mieux pour vous rencontrer de nouveau demain.
Ils m’adressèrent tous les deux un signe de tête en guise d’adieu bref et repartirent vers la rue. Une fois qu’ils l’eurent rejointe, ils échangèrent quelques mots avant de se séparer, Ioann se dirigeant vers le sud et Foma vers le nord.
Je savais que je tenais une occasion. J’avais entendu des récits sur le travail des Opritchniki, et j’en avais vu une version chorégraphiée sur la route près de Borodino, mais j’avais désormais ma première et irrésistible occasion de les voir agir pour de vrai. Foma était seul et je saisis ma chance.
Par le passé, j’avais suivi des hommes à la trace sur de grandes distances, à travers des forêts et des montagnes, et ils m’avaient rarement repéré. La poursuite à travers une ville était quelque peu différente, mais il y avait de nombreux principes communs. Dans une étendue sauvage, on peut parfois poursuivre à une distance d’une verste ou plus, en sachant que toute trace que laisse la proie subsistera quelques heures, et en sachant aussi qu’il est très probablement l’unique autre être vivant à la ronde.
En ville, on doit rester plus près. Si Foma parvenait à s’éloigner suffisamment de moi pour tourner à deux croisements, je pouvais le perdre. Si je me rapprochais au point d’être sur le même tronçon de rue que lui, il n’avait qu’à jeter un coup d’œil par-dessus son épaule et je serais repéré. J’avais toutefois l’avantage de connaître Moscou intimement. S’il descendait le long d’une rue, je pouvais me glisser dans une rue parallèle, parcourir les trois côtés d’un carré dans le temps qu’il lui fallait pour en couvrir un, et me retrouver au croisement suivant avant lui.
Il se dirigeait rapidement vers le nord. Bien qu’il ne connaisse pas Moscou en détail, il savait où il allait. Lorsque j’avais informé les deux Opritchniki, je leur avais indiqué qu’un grand nombre de Français s’étaient cantonnés au nord de la ville, et c’était donc dans cette direction que se rendait Foma. La poursuite était rendue plus difficile par les patrouilles régulières de soldats français, même s’ils entravaient également sa progression. Comme peu de Français parlaient russe, ses lacunes dans cette langue ne seraient probablement pas la cause de sa perte s’il se faisait arrêter. Il pouvait tout simplement leur baragouiner quelque chose dans sa propre langue que je devinais être une forme quelconque de roumain, et leurs oreilles ne feraient pas la distinction entre ce qu’il avait dit et un bafouillage tout aussi incompréhensible réalisé en bon russe. Pour moi, la langue que parlaient les Opritchniki semblait avoir davantage en commun avec l’italien et le français qu’avec le russe, mais c’était commettre une erreur similaire. Quelle que soit la
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