Douze
prédatrices dans la nature. Mais il semblait que Matfeï et ses amis avaient choisi cette existence non pas par imitation des loups ou des chauves-souris, mais parce que eux-mêmes – les Opritchniki – étaient des créatures sauvages, contraintes par la nature d’obéir à cette contrainte de vie nocturne.
Nous étions désormais dans une zone qui m’était très familière, à deux pâtés de maisons seulement de la maison de la rue Degtiarni où j’avais passé tant d’heures si agréables en compagnie de Domnikiia. Je remerciai le Seigneur qu’elle ne soit plus en ville. Mais Matfeï poursuivit, parcourant des rues déjà consumées par les grands incendies, d’autres qui étaient encore en flammes. Ce fut dans la rue Gruzinskaïa qu’il sembla arrivé à destination.
C’était une petite maison, bien plus humble que la plupart de celles occupées par les Français. De l’extérieur, je pouvais voir les fenêtres étroites et basses qui autorisaient un peu de lumière à pénétrer dans une cave pour laquelle il n’existait aucune entrée depuis la rue. Matfeï se jeta dans la cour par-dessus la clôture et, écoutant le bruit de ses pas, je pus entendre que son chemin descendait vers la cave au lieu de monter vers l’étage. Je tentai de regarder à l’intérieur de la cave à travers ces petites fenêtres à l’avant mais je ne pus rien voir. Elles avaient été peintes de l’intérieur ou couvertes par des rideaux.
C’était la première fois que je marquai une pause depuis que j’avais vu Matfeï dans la cave. Ce qu’il avait fait à cet homme – et je chassai l’image de mon esprit aussitôt que je l’eus rappelée – était certainement abominable, inhumain même, mais j’avais déjà assez parcouru le monde pour savoir que les humains étaient tout à fait capables d’accomplir des actes inhumains. J’en avais été témoin durant les quelques heures que j’avais passées captif des Turcs. Mais ce qu’eux ou moi pouvions être amenés à faire in extremis n’était pas comparable à ce que j’avais vu Matfeï faire. Et pourtant, dans la lumière envahissante de l’aube, les souvenirs des récits de ma grand-mère commencèrent à battre en retraite une fois de plus. La rationalité de mon père se réaffirmait. Peut-être ma grand-mère avait-elle raison ; il existait des créatures qui buvaient le sang des hommes. Peut-être ? La question n’avait maintenant plus lieu d’être, j’en avais été témoin moi-même. Mais cela ne signifiait pas qu’un terme particulier comme voordalak nécessitait d’être évoqué pour les décrire. Matfeï n’était qu’un homme, aussi tordue et vile soit son espèce. Un cannibale n’est pas moins une abomination qu’un vampire, mais c’est un concept bien plus facile à gérer.
Quelle que soit sa nature, elle ne ferait aucune différence pour son sort. Il devait mourir et j’allais le tuer. Cela n’avait aucune importance qu’il soit mon allié ; c’était désormais un problème qui dépassait le cadre de la guerre. Cela au moins avait subsisté de ce que ma grand-mère m’avait inculqué : une certitude de ce qui relevait du bien et du mal, un sentiment partagé par l’humanité tout entière que, peu importent les différends que nous avions les uns avec les autres, il existait certaines limites à ne pas franchir. Mais la nature de Matfeï influait effectivement sur la question de savoir s’il serait facile de s’en débarrasser. S’il n’était qu’un spécimen dégénéré de l’humanité, je devrais avoir peu de difficultés. Si c’était un vampire, je devrais alors être plus prudent. Je tentai de me souvenir davantage du folklore, mais je savais que, même si je parvenais à me rappeler les mots de ma grand-mère, je n’aurais aucun moyen de distinguer le noyau factuel de générations d’enjolivements. Je ne voulais pas finir comme proie pour Matfeï simplement pour avoir cru quelque méthode livresque pour tuer un vampire. Pas plus que je souhaitais me retenir d’utiliser une attaque conventionnelle qui pouvait en réalité s’avérer parfaitement efficace. Comme bien souvent, je me demandai ce que Max aurait fait.
Max ! Pour lui aussi, la nature de ces créatures n’avait pas eu d’importance. Je l’avais abandonné avec eux et, après avoir vu la façon dont Matfeï avait accompli sa tâche dans la cave, je n’avais à présent aucune raison de supposer qu’ils aient traité Max
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