Douze
différemment. Qu’ils soient des vampires ou des hommes, ils avaient probablement arraché la chair de son corps et dévoré celle-ci alors qu’il était encore vivant. Mais alors un autre élément du folklore émergea de ma mémoire et je priai Dieu pour que ma grand-mère se soit trompée ou que les Opritchniki ne soient que des hommes.
Je sautai par-dessus la barrière. L’aube était en train de devenir plus lumineuse et les oiseaux lui adressaient leur chant de salutations de toutes leurs forces, mais il faudrait encore cinq bonnes minutes avant que le soleil se lève effectivement. Et pourtant, me demandai-je, quelle confiance pouvais-je placer dans les vieilles légendes selon lesquelles ces créatures devaient disparaître pour l’éternité en présence du soleil ? En fin de compte, cela n’avait pas d’importance. Matfeï devait mourir. Les neuf Opritchniki restants devaient mourir. Et pour en éliminer neuf, je devais commencer par en tuer un, et Matfeï m’attendait en ce moment même en bas de l’escalier conduisant à la cave. Du moins, j’espérais que ce n’était que Matfeï. Ces créatures dormaient-elles seules ? Allais-je descendre là-dedans pour les trouver tous les neuf attendant de m’accueillir, informés, après mes tentatives ineptes pour suivre Foma la nuit passée, que j’étais à leur poursuite ? Le long trajet sanglant de Matfeï à travers la ville avait-il été un simple piège afin de m’attirer jusqu’à cet endroit pour supprimer une fois pour toutes un obstacle à leurs activités ?
Au-delà de la clôture, dans une petite cour, une volée de marches en pierre descendait vers la cave. En bas, une porte fermée cachait à ma vue ce qui se trouvait à l’intérieur. Matfeï, pour sûr, mais qui d’autre, je l’ignorais. Je descendis sur la pointe des pieds et écoutai à la porte. Tout était silencieux. Je tournai la poignée et me glissai à l’intérieur.
Il faisait sombre, mais pas nuit noire. Un peu de lumière filtrait par la porte ouverte, et le tissu grossièrement déchiré que je pouvais apercevoir, drapé sur les hautes et petites fenêtres, ne masquait pas totalement la lueur du jour qui se levait dehors. L’atmosphère était viciée et humide, et plus froide que l’air de la rue. En quelques instants, mes yeux s’étaient ajustés à la faible lumière et je vis ce qui était disposé dans la cave.
Il y avait deux cercueils. Je les appelle « cercueils» à cause de leur usage effectif. Ils n’avaient pas été construits pour être des cercueils, mais simplement pour servir de grands coffres du genre de ceux fréquemment utilisés pour transporter des mousquets et d’autres armes vers les lignes de front. Leur taille et leur forme fournissaient un lieu de repos suffisant pour ces créatures mortes. Le plus éloigné de la porte était vide. Son couvercle était posé dessus de façon désordonnée, évoquant un lit défait et permettant de constater facilement que son occupant n’était pas encore revenu. L’autre était fermé avec soin et, conclus-je en relevant l’absence de toute autre cachette, abritait Matfeï.
Je me saisis du couvercle. Il n’était ni verrouillé ni attaché d’une quelconque manière et il se souleva donc facilement pour révéler le corps allongé de Matfeï. Pour quiconque ne connaissait pas la nature de cette créature, il aurait semblé mort. Même un médecin, qui pouvait vérifier les battements de son cœur ou sa respiration, n’aurait trouvé aucun signe de vie conventionnel. Tous les doutes que j’avais pu avoir s’étaient désormais envolés. Ce n’était pas un homme, aussi dépravé soit-il. C’était un voordalak. Il était la terreur de mon enfance faite chair. Il était allongé, tout à fait immobile, les paupières closes, les bras le long du corps. Il était, à bien des égards, très similaire au soldat dont il avait laissé le cadavre dans une autre cave, moins de une heure auparavant, mais la seule différence était son teint. Où le soldat avait été pâle – mortellement blanc, comme il convient à un cadavre –, Matfeï avait une mine chaude et vermeille. Toute la couleur ôtée au soldat avait été transférée, par le biais de son sang, dans la créature qui dormait devant moi. Et avec la couleur avait été également transférée la vie. Dans la nature, un animal peut se nourrir de la chair d’un autre ; l’absorption de la vie en est une conséquence inévitable.
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