Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Douze

Titel: Douze Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jasper Kent
Vom Netzwerk:
entière avait été une imitation de l’homme qu’il avait autrefois été. À l’instant de sa mort, la créature qui était devant moi, aussi horrible et effroyable qu’elle ait été, avait encore affiché la richesse et la vitalité d’une peinture à l’huile. Mais maintenant, bien qu’il s’agisse de la même scène, c’était comme si la peinture à l’huile avait été remplacée par de l’aquarelle. Le sujet était identique, mais le matériau avait changé.
    Je relâchai ma pression sur le couvercle de bois qui se trouvait entre nous et l’importance de la dessiccation devint évidente. Son corps n’avait plus la moindre intégrité. Chaque os, chaque cheveu, chaque tendon était devenu poussière. La poussière était restée au même endroit que l’élément du corps dont elle provenait, puisqu’il n’y avait pas eu le moindre élan pour la déplacer, mais au léger mouvement de la guillotine de bois, elle se mit à tomber. Ses bras et jambes, ainsi que la moitié inférieure de son torse, se répandirent sur le sol en un tas de cendres, s’échappant de ses vêtements informes comme de la farine d’un sac déchiré. Je restai face au buste desséché de Matfeï. Sa tête et ses épaules reposaient sur l’instrument de sa mort, aussi réalistes que n’importe quel César de marbre ayant jamais été créé, mais n’ayant rien de sa pérennité. Il me fallut quelques instants pour me détendre, pour me rendre compte qu’il était mort au-delà de tout espoir de résurrection. Finalement je reculai d’un pas et laissai choir le couvercle de bois. Lorsqu’il tomba, les derniers vestiges de Matfeï firent de même, non pas pour se briser en touchant le sol mais, avant même de l’atteindre, se disperser dans l’air. Lorsque le dernier de ses vêtements atterrit par terre, un ultime nuage de poussière fusa de la cheminée formée par le col de son manteau. Il était alors, sans aucun doute, mort.
    Je m’effondrai, rejetant ma tête en arrière dans un urgent besoin de respirer profondément. La tension dans mes muscles s’évanouit, d’abord avec hésitation, lorsque mon corps comprit finalement que le combat était terminé. Je regardai l’endroit où Matfeï avait péri, où le corps aurait été s’il s’était agi d’une mort ordinaire, et ce faisant je me sentis mal à l’aise. Il manquait quelque chose. Une chose qui aurait dû être là et ne l’était pas. Le corps lui-même, évidemment, aurait dû être là, mais ce n’était pas cela. Ce n’était pas un vide dans cette pièce, mais un vide en moi. Je n’éprouvais pas le moindre regret. On pourrait s’attendre à ce qu’un soldat avec plus de dix ans de service, habitué à tuer, ait depuis longtemps dépassé ce stade de sa vie où il regrette la mort de l’ennemi et, dans une certaine mesure, c’était vrai. Au combat, lorsque l’ennemi est à distance, séparé par la portée d’un boulet de canon ou d’un tir de mousquet, tuer est une action mécanique : appuyer sur la détente ou allumer une mèche. Parfois ces actions provoquent la mort et parfois, lorsque le coup manque, ce n’est pas le cas. Même lorsque l’on dégaine les épées au combat, l’ennemi est anonyme et il est difficile de dire, en fin de compte, qui exactement l’on a tué.
    Mais ce n’était pas le type de soldatesque dont je faisais partie. Bon nombre des morts que j’avais causées avaient été personnelles, comme celle-là. Certains avaient été des hommes que j’espionnais, qui s’étaient retournés pour me découvrir à leur poursuite et contre lesquels j’avais dû me défendre. D’autres avaient été des cibles choisies, et j’avais étudié le détail de leur vie et de leurs habitudes avant de frapper. Dans tous les cas, j’avais su que ce que je faisais était juste, que leur mort était nécessaire à ma survie ou au bénéfice de la Russie, mais j’avais toujours regretté qu’il n’y ait pas d’autre solution, que quelques années auparavant, un caprice du destin ait placé ces hommes dans cette situation où je devais les tuer.
    Dans le cas de Matfeï, toutefois, le supprimer avait été un plaisir. Il n’y avait aucun souhait insidieux que le destin n’ait pas fait se croiser nos chemins, mais plutôt l’inverse. J’étais heureux d’avoir été là ; content d’avoir été l’instrument de sa mort. L’inhumanité que j’avais perçue chez les Opritchniki prenait maintenant tout son

Weitere Kostenlose Bücher