Du sang sur Rome
de deux j’étais passé par-dessus le mur. Mon corps
avait réagi à mon insu. Je plongeai dans les ténèbres, mais je n’étais pas
seul. Légèrement au-dessus de moi, un autre corps tombait dans le vide, celui
de Tiron. Je voyais se rapetisser à une vitesse vertigineuse le visage de
Magnus furieux, penché tout là-haut au-dessus du mur, scrutant la nuit, encadré
de deux lames dressées.
Troisième partie
Justice est faite
1
Je me heurtai à une surface extraordinairement dure qui s’était
précipitée vers moi : la terre ferme. C’était comme si un géant m’avait
empoigné, jeté en l’air. Je fis une culbute et soudain m’immobilisai. Tout près
de moi, Tiron gémissait. Il se plaignait, mais il articulait mal et je ne
parvenais pas à saisir ses paroles. J’avais complètement oublié Magnus. Je
revins à la réalité et levai les yeux.
Le visage menaçant de Magnus paraissait incroyablement
éloigné. Comment avais-je pu sauter d’une telle hauteur ? Il n’y avait
aucune chance qu’il en fasse autant. Aucun homme qui a toute sa raison ne
prendrait un tel risque, excepté pour sauver sa vie. Magnus n’oserait pas non
plus donner l’alarme, tant que Sylla serait dans la maison. On lui poserait
trop de questions et des complications pourraient s’ensuivre. Nous étions donc
hors de danger. Pendant que Magnus arpenterait les couloirs et descendrait l’escalier
quatre à quatre, nous aurions largement le temps de nous fondre dans la nuit.
Alors pourquoi se mit-il soudain à sourire ?
Tiron poussa un nouveau gémissement ; il était à quatre
pattes dans l’herbe et tremblait de tous ses membres. Il tenta de se mettre
debout, mais perdit l’équilibre et tomba la tête la première. Il recommença. En
vain. Son visage était tordu par la douleur.
— Aïe ! Aïe ! ma cheville, murmura-t-il d’une
voix rauque, puis il se mit à jurer.
A nouveau je levai les yeux vers le balcon. Magnus avait
disparu. Je me mis debout tant bien que mal et aidai Tiron à se relever. Il
serra les dents et retint un cri de douleur, à force de volonté.
— Peux-tu marcher ?
— Oui, bien sûr.
Tiron s’écarta de moi, fit un pas et s’écroula. Je le
relevai, l’appuyai contre mon épaule et marchai de plus en plus vite. Il
réussit à suivre mon rythme, clopin-clopant. Nous avions parcouru une trentaine
de mètres quand j’entendis un bruit de pas derrière nous. Mon cœur se serra.
Je jetai un coup d’œil en arrière, Magnus courait dans la
rue. Sa silhouette se détachait dans la lumière des torches qui éclairaient le
portique de Chrysogonus. Il n’était pas seul, la masse imposante de Mallius
Glaucia le suivait. L’espace d’un instant, j’aperçus le géant blond, éclairé
par la lumière bleutée de la lune et encadré par les torches qui crépitaient.
Son visage était maculé de sang, il n’avait rien d’humain. Les deux hommes s’arrêtèrent
au beau milieu de la rue et scrutèrent les ténèbres. Je forçai Tiron à se
dissimuler dans l’ombre d’un arbre, à l’endroit même d’où nous avions observé l’arrivée
de Sylla. J’espérais que nous passerions inaperçus dans l’obscurité, mais
Magnus avait dû remarquer que quelque chose bougeait. J’entendis un cri, puis
un bruit de pas sur les pavés.
— Monte sur mes épaules ! lui soufflai-je.
Tiron comprit tout de suite. Je me glissai entre ses jambes,
me relevai d’un coup de reins et me mis à courir, stupéfait d’avoir une telle
force. Je filai comme une flèche sans peine sur les pavés bien lisses. Je
respirai profondément et me mis à rire en pensant que je pourrais courir encore
longtemps et semer ainsi Magnus. Je les entendais crier derrière moi, mais au
loin ; j’entendais surtout le sang battre dans mes oreilles.
Puis, soudain, je manquai de souffle. Mon moral fléchit. A
chaque pas, je sentais ma force diminuer. J’avais l’impression de gravir une
colline, puis de patauger dans la boue. Au lieu de rire, je me mis à tousser,
et bientôt, c’est à peine si je pus lever les pieds. Tiron était aussi lourd qu’une
statue de bronze. Magnus et Glaucia nous talonnaient, ils étaient si près que j’eus
des frissons dans la nuque, je tremblai de peur à la pensée qu’on allait me
planter un couteau entre les omoplates.
Nous longeâmes un grand mur tapissé de lierre. Arrivés au
bout, j’aperçus la maison de Cæcilia Metella sur ma gauche. Le
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