Du sang sur Rome
bancs pour les avocats de l’accusation
et de la défense. Juste en face de la tribune, des chaises disposées sur des
gradins étaient occupées par les soixante-quinze juges choisis parmi les
sénateurs.
Certains somnolaient, d’autres lisaient ou mangeaient. D’autres
discutaient entre eux. Plusieurs s’agitaient nerveusement sur leur siège,
visiblement mécontents d’avoir à assumer cette tâche. Certains réglaient les
affaires courantes, donnaient des consignes à des esclaves ou à des employés.
Tous portaient la toge sénatoriale qui les distinguait de la populace parquée
plus loin.
Je jetai un coup d’œil au banc de l’accusation. Magnus était
assis, les bras croisés. Il avait l’air courroucé et me jetait des regards
furieux. À côté de lui, l’accusateur public, Gaïus Erucius, et ses assistants
feuilletaient des documents. Erucius avait la réputation d’échafauder des
accusations perfides, parfois par amour du lucre, parfois par pure cruauté. Il
était célèbre parce qu’il gagnait souvent. On lui avait sans doute promis une
somme fort coquette s’il obtenait la condamnation à mort de Sextus Roscius.
Erucius leva les yeux quand je passai devant lui et ne put
retenir une moue de dédain en me reconnaissant puis, se retournant, fit un
signe de la main à un messager qui attendait ses ordres. Erucius avait
considérablement vieilli depuis la dernière fois que je l’avais vu. Son cou s’était
empâté et ses sourcils embroussaillés. Il avait une bouche lippue qui semblait
toujours bouder et son regard était sournois, calculateur. Il était le type
même de l’avocat véreux. Au tribunal on le méprisait. La populace l’adorait.
Elle était fascinée par sa malhonnêteté ainsi que par sa voix mielleuse et ses
manières onctueuses. Face à cet homme, des vertus simples et honnêtes, toutes
romaines, comptaient pour peu de chose.
Hortensius aurait fait le poids. Mais Cicéron ? Erucius
n’était pas le moins du monde impressionné. Il hurla pour appeler un de ses
esclaves ; il se retourna pour échanger une plaisanterie avec Magnus ;
il s’étira et se promena de long en large, les mains sur les hanches, sans même
jeter un coup d’œil au banc des accusés. Sextus y était assis, prostré.
Derrière lui, deux hommes montaient la garde, ceux-là mêmes qui avaient été
postés devant la porte de Cæcilia. Il avait déjà l’air d’un condamné, pâle,
silencieux, comme pétrifié. En comparaison, Cicéron avait la carrure d’un
athlète quand il se leva et me prit le bras pour m’accueillir.
— Parfait ! Tiron m’a dit qu’il t’avait repéré
dans la foule. Je craignais que tu ne sois en retard ou que tu ne viennes pas.
Il se pencha vers moi, un sourire aux lèvres. Il me tenait
toujours par le bras et me parlait sur un ton confidentiel, comme si j’étais
son meilleur ami. Cette familiarité, qui succédait à sa froideur des jours
précédents, me désarma.
— Gordien, regarde les juges, là sur les gradins,
continua-t-il. La moitié d’entre eux s’ennuient à mourir, les autres sont déjà
morts de peur. Auxquels dois-je m’adresser ?
Il éclata de rire, non pas d’un rire forcé, mais d’un rire
simple, spontané. Le Cicéron grincheux qui se faisait du souci et ronchonnait
depuis mon retour d’Ameria semblait avoir disparu avec les ides de mai.
Tiron était assis à la droite de Cicéron, à côté de Sextus
Roscius ; il avait soigneusement dissimulé sa béquille. Rufus était assis
à la gauche de Cicéron avec les nobles qui lui avaient apporté leur concours au
Forum. Je reconnus Marcus Metellus, de la famille de Cæcilia, et l’ancien
magistrat, Publius Scipion, une personne insignifiante.
— Naturellement tu ne peux pas t’asseoir sur le même
banc que nous, remarqua Cicéron, mais je souhaite que tu ne t’éloignes pas. Qui
sait ? Un nom ou une date peut m’échapper au dernier moment. Tiron a
chargé un esclave de te réserver une place.
De la main il montra la galerie où je reconnus de nombreux
sénateurs et magistrats, parmi lesquels l’orateur Hortensius et des membres de
la famille Messallus et Metellus. Je reconnus aussi le vieux Capito ; il
avait l’air petit et ratatiné à côté du géant Mallius Glaucia, qui avait la
tête bandée. On ne voyait Chrysogonus nulle part. Sylla était représenté par sa
statue équestre dorée.
Sur un geste de Cicéron, un esclave quitta l’un des bancs.
Comme j’allais
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