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Du sang sur Rome

Du sang sur Rome

Titel: Du sang sur Rome Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Steven Saylor
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collègues mentionnaient les meilleurs passages de
son discours et leurs éloges étaient dithyrambiques. Ils faisaient des gorges
chaudes de la plaidoirie d’Erucius et riaient aux éclats en se souvenant de la
tête qu’il avait faite quand Cicéron, pour la première fois, avait osé
prononcer le nom de Chrysogonus. Cicéron accepta les louanges avec une modestie
qui n’était pas contrefaite. Il but un doigt de vin, juste assez pour que ses
joues s’empourprent. Renonçant à sa modération habituelle, et sans doute affamé
par le jeûne et les efforts qu’il avait faits, il mangea comme quatre. Cæcilia
le félicita de son appétit et se réjouit que cette petite fête pour célébrer sa
victoire ait pu avoir lieu. Autrement elle aurait dû donner aux pauvres tous
les mets délicats qu’elle avait fait préparer à l’avance par ses cuisiniers :
des orties de mer et des coquilles Saint-Jacques, des grives sur canapé d’asperges,
des poissons de roche à la pourpre de murex, des cuisses de grenouille dans de
la compote de fruits, des mamelles de truie cuites à l’étuvée, des vols-au-vent
à la volaille, du canard, du sanglier et des huîtres à satiété.
    Après avoir prié mon esclave de me servir pour la troisième
fois des girolles de Bithynie, je me demandai si la fête n’était pas un peu
prématurée. Sextus Roscius avait sauvé sa tête, c’est vrai, mais tout n’était
pas réglé, ses biens restaient aux mains de ses ennemis, la proscription l’avait
privé de ses droits civils et l’assassinat de son père n’était pas vengé.
Quelles chances avait-il de vivre à nouveau convenablement ?
    Tiron avait l’air satisfait, il riait à chaque plaisanterie
et osait même en faire quelques-unes de son cru. De temps à autre, il regardait
tristement Roscia. Celle-ci refusait de tourner ses regards vers lui. Assise
toute droite sur sa chaise, elle paraissait malheureuse et ne mangeait rien.
Elle finit par prier son père et son hôtesse de l’excuser. En quittant
précipitamment la salle, elle se mit à pleurer. Sa mère se leva et courut pour
la rattraper.
    Après le départ de Roscia les larmes devinrent contagieuses.
L’épidémie frappa d’abord Cæcilia, qui buvait plus que tous les autres. Toute
la nuit elle avait été pleine d’entrain et avait ri de bon cœur. En voyant
sortir Roscia, elle eut un coup de cafard.
    — Je sais pourquoi cette fille pleure. Oui, je connais
la raison, gémit-elle en l’entendant sangloter dans le couloir. Son grand-père
lui manque, ce cher vieux grand-père. Oh mon Dieu ! Quel homme charmant c’était !
Qui sait ? Si je n’avais pas été stérile…
    Elle remit négligemment de l’ordre dans sa coiffure et se
piqua le doigt avec son épingle en argent. Une goutte de sang perla au bout de
son index. Elle frémit en voyant la blessure et se mit à pleurer. Rufus
accourut auprès d’elle pour la consoler et l’empêcher de dire quelque chose qui
pourrait la gêner plus tard.
    Puis ce fut le tour de Sextus Roscius. Il se mordait les
doigts, grimaçait mais, malgré tous ses efforts, il ne pouvait maîtriser ses
larmes. Il jeta à terre son assiette. Un esclave la ramassa. Ses sanglots l’étouffaient
et étaient si bruyants qu’on aurait cru entendre un âne braire. Il me fallut un
moment pour comprendre le mot qu’il répétait sans cesse : « Père,
père, père… » Après avoir vécu si longtemps dans la terreur, il n’avait
manifesté son soulagement qu’au moment où il n’avait plus été capable de se
maîtriser. Voilà pourquoi il pleurait. Du moins, c’est ce que je crus.
    Cela semblait le moment opportun pour partir. Publius
Scipion, Marcus Metellus et leurs amis respectables nous dirent bonsoir et s’en
allèrent, chacun de leur côté. Rufus resta avec Cæcilia. J’aurais bien aimé
dormir chez moi, mais Bethesda était toujours chez Cicéron et il fallait du
temps pour regagner le quartier de Subure. Dans un accès de bonté dû à son
succès, Cicéron insista pour que je passe une dernière nuit sous son toit.
    Si je ne l’avais pas accompagné, cette soirée aurait marqué
la fin de cette histoire où se mêlent demi-vérités et conjectures. Je marchai
donc à côté de Cicéron, accompagné par ses porteurs de torches et ses gardes du
corps, traversai le Forum au clair de lune et gravis la colline du Capitole.
    Nous bavardions aimablement de tout et de rien quand nous
arrivâmes dans la rue où il habitait.

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