Du sang sur Rome
herbes.
Quand elle eut terminé son histoire, elle fut soudain vidée
de toute son énergie. Elle s’affala comme une fleur fanée.
— Mon cher enfant, murmura-t-elle à Rufus, qui s’était
précipité à ses côtés, conduis-moi à ma chambre.
Tiron et moi prîmes congé sans cérémonie.
— Quelle journée ! soupira Tiron quand nous
rentrâmes chez son maître. Quelle nuit !
— Et si nous avons de la chance, nous pourrons
peut-être dormir une heure avant le lever du soleil. Je vais partir avec
Bethesda dans la matinée. Je te verrai peut-être à moins que Cicéron ne t’envoie
faire une course. Je ne me souviens pas d’un procès où il y ait eu tant de
coups de théâtre. Je ne sais si Cicéron fera de nouveau appel à moi. Rome n’est
pas bien grande, mais je ne te reverrai peut-être plus jamais. Il faut que je t’avoue
quelque chose, Tiron, maintenant que tout est calme et que nous sommes seuls,
tu es un jeune homme merveilleux, je te le dis du fond du cœur…
Je me retournai et le vis allongé sur le côté parmi les
rouleaux de parchemin éparpillés par terre, il ronflait doucement. Je souris et
m’avançai sans bruit vers lui. Il avait vraiment l’air d’un enfant. Je m’agenouillai
et caressai la peau lisse de son front et ses cheveux bouclés. Je pris le
parchemin qu’il avait dans la main et que Sylla avait jeté par terre. Mes yeux
tombèrent sur les derniers vers du chœur :
Les dieux se manifestent sous des formes diverses.
Les dieux accomplissent des actes imprévus,
Ce qu’on attendait
Ne se réalise point.
Et pour l’inattendu
Les dieux trouvent un chemin.
8
Je me levai au milieu de la matinée, bien que je me fusse
couché tard. Bethesda était réveillée depuis longtemps et avait rassemblé
toutes mes affaires. Elle m’aida à m’habiller sans perdre de temps et m’observa
pendant que je grignotais un bout de pain et du fromage. Elle était prête à
rentrer chez nous.
Pendant que Bethesda attendait au soleil dans le péristyle,
Cicéron me fit venir dans son bureau. Tiron dormait encore dans sa chambre.
Cicéron alla donc chercher un coffret rempli de pièces en argent et un sac
plein de menue monnaie. Il compta mes honoraires, sans se tromper d’un sesterce.
— D’après Hortensius, c’est la coutume de déduire les
repas et le logement, soupira-t-il, mais je ne veux pas en entendre parler. En
revanche…
Il sourit et ajouta dix deniers sur la pile.
Ce n’est pas facile de poser des questions délicates à un homme
qui vient de vous payer grassement. Je baissai les yeux en prenant les pièces
et dis d’un ton aussi détaché que possible :
— Il y a encore quelques points qui me laissent
perplexe, Cicéron, peut-être pourrais-tu m’éclairer.
— Lesquels ? demanda-t-il avec un sourire qui m’exaspéra.
— Est-ce que je me trompe en supposant que tu en savais
bien plus que tu ne me l’as dit quand tu m’as engagé ? Peut-être étais-tu
au courant de la proscription de Sextus Roscius père ? Tu savais que Sylla
était mêlé à tout cela et que l’homme qui mènerait son enquête dans cette
sordide affaire courrait un danger sérieux ?
Il haussa les épaules.
— Oui. Non. Peut-être… En fait, Gordien, les seuls
éléments sur lesquels je pouvais me fonder, c’étaient des bruits, des bribes de
conversation. Personne ne voulait me dire toute la vérité. J’ai agi de même
avec toi. Les Metellus croyaient pouvoir se servir de moi. Ils y sont parvenus
dans une certaine mesure.
— Tu t’es aussi servi de moi… comme appât ? Pour
voir si un chien errant qui irait mettre le nez dans l’affaire Roscius serait
menacé, attaqué, tué ? Ce qui a failli m’arriver, plus d’une fois.
Les yeux de Cicéron lancèrent des éclairs, mais il continua
de sourire, imperturbablement.
— Tu t’en es sorti indemne, Gordien !
— Grâce à mon intelligence.
— Grâce à ma protection.
— Est-ce que cela ne te contrarie pas, Cicéron, de
savoir que l’homme que tu as si brillamment défendu était coupable ?
— Il n’y a pas de déshonneur à défendre un client
coupable. Interroge n’importe quel avocat. Et c’est un honneur que de mettre un
tyran dans l’embarras.
— Tu n’attaches aucune importance à un meurtre ?
— Le crime est chose banale. L’honneur est chose rare.
Et maintenant, Gordien, je dois te dire adieu. Tu connais le chemin. Inutile
que je te reconduise.
Cicéron tourna
Weitere Kostenlose Bücher