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Du sang sur Rome

Du sang sur Rome

Titel: Du sang sur Rome Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Steven Saylor
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leur
employeur. Et aucune loyauté, sauf celle de l’argent. Réfléchis, Cicéron, d’où
viennent les gangs ? Certains se multiplient sur place, comme des asticots
dans un garde-manger. Ce sont les pauvres, les enfants des pauvres, leurs
petits-enfants et arrière-petits-enfants. Des dynasties de criminels, des
générations de canailles perpétuent le vice. Ils négocient entre eux comme de
petites nations. Ils font des mariages comme dans la noblesse. Ils louent leurs
services, comme des mercenaires, au général ou au politicien qui leur fait la
meilleure offre.
    Cicéron détourna les yeux, contemplant le rideau de gaze
comme s’il pouvait y voir, par transparence, le rebut de l’humanité.
    — D’où viennent-ils ? murmura-t-il.
    — Ils naissent du pavé, comme la mauvaise herbe. Ou
débarquent par vagues, comme les rescapés des campagnes militaires. Fais le calcul :
Sylla, vainqueur des rebelles italiens, paie ses soldats en terres. Mais pour
acquérir ces terres, il faut en déloger les vaincus. Que deviennent-ils, sinon
des mendiants ou des esclaves à Rome ? Et tout ça pour quoi ? Le pays
est dévasté par la guerre. Les soldats ne connaissent rien au travail de la
ferme ; au bout d’un mois, d’une année, ils vendent et retrouvent le
chemin de la ville. La province tombe aux mains des grands propriétaires
fonciers. Les petits fermiers luttent contre la concurrence, se font gruger et
exproprier. C’est de nouveau l’exode. Je le vois se creuser de plus en plus, le
fossé entre les pauvres et les riches. Rome est comme une femme d’une beauté
fabuleuse, drapée d’or et couverte de bijoux, grosse d’un fœtus nommé Empire. Elle
est infestée de vermine de la tête aux pieds.
    Cicéron fronça les sourcils.
    — Hortensius m’avait prévenu que tu parlerais
politique.
    — L’air qu’on respire n’est pas fait d’autre chose. Il
en va peut-être autrement à d’autres époques, en d’autres lieux, mais à Rome
aujourd’hui, qui dit réalité dit politique. Les gangs existent pour de bonnes
raisons. Nul ne nous en débarrassera. Chacun les craint. Un homme enclin au
meurtre serait stupide de ne pas les utiliser. Il ne ferait en cela que suivre
l’exemple d’un politicien en vogue.
    — Tu veux dire…
    — Personne en particulier. Ils ont tous recours aux
gangs.
    — C’est à Sylla que tu fais allusion.
    Cicéron avait lâché le nom en premier. Cela ne laissait pas
de m’inquiéter. A un moment donné, la conversation, échappant à tout contrôle,
avait pris un tour séditieux.
    — Oui, puisque tu insistes : Sylla.
    Je considérais les replis mouvants de l’étoffe jaune pâle,
comme si elle dessinait autant de fantômes.
    — Étais-tu à Rome au moment des proscriptions ?
    Cicéron hocha la tête.
    — J’y étais. Je n’ai pas besoin de te faire un dessin.
Chaque jour, une nouvelle liste, de proscrits était affichée au Forum. Et qui
les lisait ? Non pas ceux qui y étaient nommés, qui se terraient chez eux
ou restaient prudemment barricadés à la campagne. Au premier rang étaient les
chefs de bande – peu importait à Sylla qui détruisait ses ennemis
réels ou supposés, du moment qu’ils étaient détruits. Présente-toi avec une
tête décapitée sur l’épaule, signe là et repars avec un sac d’or. Ne recule
devant rien ! Enfonce la porte du citoyen, bats ses enfants, viole sa
femme – mais ne touche à rien, car une fois la tête séparée du corps,
les biens du proscrit appartiennent à Sylla.
    — Pas exactement.
    — J’exagère, mais c’est tout comme. Ses biens sont
confisqués et deviennent propriété de l’État. Autrement dit, on les met aux
enchères, dans les meilleurs délais, à des prix imbattables, pour les amis de
Sylla.
    Cicéron pâlit à ces mots. Il jetait des coups d’œil furtifs
à droite et à gauche, comme si des espions étaient entrés dans la pièce et se
cachaient parmi les parchemins.
    — Tu as des opinions arrêtées, Gordien. La chaleur te
délie la langue. Mais quel est le rapport avec le sujet qui nous occupe ?
    Je ne pus m’empêcher de rire.
    — Je crois que j’ai oublié.
    — Préparer un meurtre, coupa Cicéron du ton du maître
qui rappelle l’élève indiscipliné à l’ordre. Pour des motifs purement
personnels.
    — Eh bien, j’essaie seulement de te montrer qu’il est
facile de trouver un assassin. Pas seulement dans Subure. À tous les coins de
rue. Je suis prêt à

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