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Du sang sur Rome

Du sang sur Rome

Titel: Du sang sur Rome Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Steven Saylor
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concert.
    — Citoyen, demandai-je, tu connais le quartier ?
    — J’y habite depuis des années.
    — Alors tu peux m’aider. Je n’ai ni faim ni soif, c’est
une autre envie que je voudrais satisfaire. Je suis un amoureux des oiseaux.
    — Des oiseaux ? Il n’y a que des pigeons ici, trop
coriaces à mon goût.
    — Je pensais à une volaille plus élégante. À l’aise sur
l’eau, sur la terre et dans les airs.
    Il saisit aussitôt.
    — Tu veux dire la Maison aux Cygnes ?
    — Oui.
    — Prends cette rue-là.
    Il montrait le passage entre la buvette et l’immeuble rouge.
    — Est-ce la seule qui y mène ?
    — Oui, sauf si tu veux marcher deux fois plus. C’est
une longue rangée de maisons, avec quelques impasses. Et la promenade en vaut
la peine, ajouta-t-il en clignant de l’œil.
    — Je l’espère bien. Viens, Tiron.
    Nous prîmes le passage indiqué. Même par cette belle
matinée, on se sentait enfermé, sans autre perspective que briques et mortier.
C’étaient de longues bâtisses sans fenêtres au rez-de-chaussée. Nous marchâmes
quelque temps entre des murs aveugles. Les étages supérieurs étaient en
surplomb. Par temps de pluie, ils offraient un abri, mais il devait faire bien
sombre la nuit venue. Tous les cinquante pas, des appliques scellées dans les
parois servaient à mettre des torches. En dessous, sur un écusson de pierre,
était gravé un cygne. C’était de la publicité. Les torches étaient destinées à
guider la clientèle vers la Maison aux Cygnes.
    — On arrive, dit Tiron en levant le nez de sa tablette.
Nous avons laissé une ruelle à gauche, en voici une autre à droite. D’après les
indications, Sextus Roscius a trouvé une mare de sang. Mais après tout ce
temps, crois-tu… ?
    Tiron n’eut pas le temps de finir sa question. Il s’arrêta,
le regard rivé au sol.
    — Là, chuchota-t-il en avalant sa salive.
    Considérons que le corps d’un homme contient plusieurs litres
de sang. Considérons aussi la nature poreuse du pavé et la médiocrité de l’évacuation
dans les rues de Rome, surtout dans les bas quartiers. Considérons qu’il était
tombé peu de pluie cet hiver-là. Quand bien même, le vieux Sextus avait dû
rester longtemps, très longtemps à saigner au milieu de la rue, pour y avoir
laissé une telle tache indélébile.
    Son diamètre égalait en longueur le bras d’un homme de haute
taille. Les bords indistincts se confondaient avec la saleté environnante. Mais
en son milieu, elle était d’un rouge foncé presque noir. Les pavés tout autour,
foulés par les passants, avaient repris leur aspect patiné. Mais lorsque je m’agenouillai
pour voir de plus près, j’aperçus de petites croûtes de sang séché dans les
fissures. Je levai la tête : on ne voyait aucune fenêtre sous cet angle.
    La porte d’entrée la plus proche se trouvait un peu plus
haut sur la gauche. Le mur de droite n’offrait rien de notable, si ce n’est la
boutique d’alimentation que nous venions de passer, au coin d’un cul-de-sac.
Elle n’était pas encore ouverte. Sa porte haute et large occupait toute la
façade. Elle était peinturlurée de jaune, avec une frise de divers signes
annonçant des fruits et légumes. Tout en bas, dans le coin, une autre marque me
coupa le souffle.
    — Tiron, viens voir !
    Je m’accroupis. À hauteur du genou, sous une couche de
crasse qui allait s’épaississant, on distinguait clairement l’empreinte d’une
main. Je la recouvris de la mienne et frissonnai : sans l’ombre d’un
doute, je touchais la trace sanglante laissée des mois plus tôt par Sextus
Roscius.
    Je me redressai pour aller jusqu’au coin. Ce qui avait pu
être une ruelle n’aboutissait plus nulle part, bloquée à son extrémité par un
mur de deux étages. L’espace en question avait une vingtaine de pieds de long
et pas plus de cinq pieds de large. Au fond, un reste d’ordures brûlées, un tas
calciné où l’on apercevait des os parmi les détritus. Aucune fenêtre ici non
plus. La torche la plus proche était distante d’une quarantaine de pas. C’était
le lieu rêvé pour une embuscade.
    — C’est ici qu’ils l’attendaient, Tiron, ici même,
sachant qu’il devait passer par là en réponse au message d’Elena. Ils le
connaissaient de vue, sans doute, pour savoir que c’était lui et bondir sans
hésiter.
    Je revins lentement vers l’empreinte.
    — Ils ont dû porter le premier coup au torse ou

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